Une conférence en circuit fermé

Dimanche 20 novembre 2016, à 15 h, le musée de la Résistance en Argoat à Saint-Connan recevait Christian Bougeard, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bretagne occidentale (UBO) de Brest, chercheur au Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC) pour une conférence sur le thème « De l’Occupation à la Libération en Bretagne ».

A l’ouest, rien de nouveau : le discours est bien rôdé et ne donne aucun signe de renouvellement. De quoi rassurer la quarantaine d’habitués des lieux qui assistaient à ce discours ? Pas si sûr.

Fort de la caution « scientifique » du conférencier, le président de l’ANACR des Côtes d’Armor, Pierre Martin, s’est permis d’insinuer que j’aurais repris les écrits de la revue Historia qui produit, dans son numéro de septembre 2004, un dossier intitulé 1944-1945 – L’épuration, chronique d’une France déchirée. Dans ce dossier, sous la photo de Louis Briand, un résistant pendu à un balcon de la place principale de Rostrenen après avoir été capturé à Lamprat en Plounevezel par une unité allemande se dirigeant vers le front de Normandie le surlendemain du Débarquement, les auteurs attribuent ce crime à « L’Épuration sauvage ». De plus, la revue aurait commis deux fois cette erreur (voir le site de l’ANACR de Lannion).

Dans Joli mois de mai 1944 (pp. 181-185), j’ai traité du cas largement connu des « pendus de Carhaix », pour comprendre les circonstances dans lesquelles un groupe de jeunes résistants mal encadré s’est fait capturer sans même combattre. Chacun peut donc constater l’incongruité des propos de Pierre Martin.

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Plaque commémorative à la mémoire de Marcel Le Goff, un camarade de Louis Briand, assassiné le même jour à La Pie en Paule (photo Yves Mervin)

Et quand bien même tant le conférencier que le président de l’ANACR ont occulté le sujet, la criminalité résistante et l’épuration sauvage ont bien existé et ne sont pas un phénomène anodin ou négligeable : c’est même le fait principal de la Résistance bretonne qui a été plus dangereuse pour les Bretons que pour les Allemands.

A quelques pas de l’endroit même où fut pendu Louis Briand, rue Ollivier Perrin à Rostrenen, vivait  Eugénie Le Gouard, dite « Mimi », née Loriquet en 1915 à Paris, avec sa fille Jeannine de cinq ans. Pour survivre, Eugénie Le Gouard avait travaillé au collège de Campostal, alors réquisitionné par les Allemands, en tant qu’aide cuisinière. Le 4 août 1944, les blindés américains défilent en ville depuis la matinée et sont applaudis par la foule. Vers 21 heures, plusieurs résistants FTP frappent à la porte d’Eugénie Le Gouard : elle ouvre, a le temps de comprendre et de crier Pitié pour ma fille ! Elle reçoit deux coups de pistolet devant cette petite fille qui sera recueillie par une voisine. Laissée seule dans son logement, elle mettra plusieurs heures à mourir.

Mise Éire (I am Ireland)

Il me semble que vous devriez comprendre que ce qui perd le monde, ce ne sont pas les bandits, ni les guerres, mais les haines, les inimitiés, toutes ces petites querelles sordides…

Anton Pavlovitch Tchekov, Oncle Vania.

Suite à la parution de Viens rejoindre mon armée ! Françoise Morvan a bien voulu me consacrer de longs commentaires sur son blog.

De ses commentaires, il me revient surtout de regretter d’avoir écorché dans l’index de mon livre, le prénom de son grand-oncle, Joseph Pennec, devenu Jean. Ce que je regrette d’autant plus que l’ancien Rostrenois qui m’en a parlé était très élogieux à son égard, ce que confirme l’examen de son dossier au service historique de la défense à Caen. J’espère que Françoise Morvan, qui confond elle-même Marcel et Gérard, ne m’en tiendra pas une excessive rigueur.

Diabolicum perseverare

Pour le reste, Françoise Morvan illustre une nouvelle fois sa démarche « historique » bien connue. Sa thèse tient à ce que des nationalistes bretons de la Formation ou Bezen Perrot se seraient trouvés avec le service de sécurité allemand, le SD (Sicherheitsdienst), à Bourbriac début juillet 1944. De là, ils auraient accompagné ces Allemands à Garzonval pour achever sept « martyrs » de la Résistance bretonne préalablement torturés dans la maison Souriman à Bourbriac. Ainsi veut-elle que l’histoire se soit passée. Pourquoi insister dans cette thèse sans fondements : pour démontrer que des nationalistes bretons étaient capables d’actes meurtriers ?  Pour démontrer qu’elle, Françoise Morvan, a osé, su, fait valoir cet aspect de la guerre, alors que tous les historiens passent à côté de ce fait, voire l’occultent ou le dénigrent ? Parce que son oncle René Morvan, et peut-être aussi son père Yves, auraient pu subir le sort des martyrs et que, 72 ans après, le choc émotionnel familial ne serait pas encore surmonté ?

Quoi qu’il en soit, aborder cette question d’un point de vue historique nécessite de dépasser le trauma familial et le sentiment de culpabilité du survivant qui se serait transmis d’une génération à l’autre. Si la Bezen Perrot était à Bourbriac, puis de là à Garzonval début juillet 1944 [1], il n’y a certainement pas lieu d’occulter ce fait. Et si elle n’y était pas, il n’y a pas lieu de l’affirmer non plus. Et si en définitive on ne peut rien démontrer, comment présenter la chose ?

La présence de la Bezen Perrot est plausible, mais faiblement étayée par quelques témoignages épars. Point faible de sa théorie, quand bien même elle affirme qu’un groupe de cinq Perrot était présent à Bourbriac, Françoise Morvan ne produit pas l’identité de ces cinq individus, alors que leur présence est généralement connue nominalement en d’autres lieux. Elle souligne d’ailleurs elle-même combien il est hasardeux de situer un groupe ou un  individu à un certain moment à un certain endroit (p. 122 : ...il devrait être facile de déduire qui est présent lors d’une opération …). Mais parce que pour que les Perrot soient à Garzonval, il faut d’abord qu’ils soient à Bourbriac, d’une présomption, Françoise Morvan fait une certitude préalable.

Puis, Françoise Morvan fait état dans Miliciens contre maquisards (p. 159-160) du témoignage de Joséphine Garzuel (le principal témoignage à retenir de ceux qu’elle produit) : je précise qu’au départ de la camionnette [pour Garzonval] vers 19 heures… j’ai également reconnu dans cette camionnette bâchée un milicien dit l’Oeil-en-verre [soit Rémi Daigre du SSP]… Ce témoignage précis laisse donc penser que ce sont des SSP (Selbstschutzpolizei : « police d’autoprotection »), une formation paramilitaire rattachée au SD, qui a accompagné les Allemands de Bourbriac à Garzonval.  Il ressort des archives que ce sont les SSP et non pas les Perrot, qui accompagnent le SD pour achever des prisonniers, ce qui est d’ailleurs précisément le cas à Bourbriac le 8 juillet 1944, une semaine avant l’événement :

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Extrait du rapport du « Sonder Kdo III » (« commando spécial III ») commandé par Georg Röder pour la période allant du 1 au 15 juillet 1944 [Bundes Archiv R70] : 2 von Kdo.III festgenommene Terroristen würden von SD = u. Selbstschutzmännern gegen 17,00 Uhr im Wald bei Bourbriac erschossen (« 2 [personnes] arrêtées par le Kdo.III [commando spécial III] ont été abattues par le SD et les hommes du SSP vers 17 heures dans le bois près de Bourbriac »). Dans ce rapport, n’apparaît pas l’euphémisme fréquent « abattu pendant le combat » (im Kampf erschossen). L’identité des deux personnes abattues reste à confirmer.

Dans ces rapports du SD, on relève un autre cas où ce sont les SSP qui achèvent un résistant prisonnier. On ne trouve aucun élément dans ces archives qui met en cause des Perrot. Mais Françoise Morvan partage le préjugé des universitaires bretons officiels pour lesquels les archives allemandes ne présentent pas d’intérêt au point de ne jamais les utiliser [2].

Comment notre historienne traite-t-elle le témoignage de Joséphine Garzuel qui laisse penser que, dans le cas des « martyrs » de Garzonval, c’est aussi le SSP qui a accompagné les Allemands ? La pirouette est remarquable (p. 160) : Joséphine Garzuel s’est-elle trompée ? Eh bien voilà, la question et la réponse, c’est que le témoin s’est trompé ! Ainsi en a décidé Françoise Morvan, qui préfère un autre témoin, selon elle digne de foi… un SSP ! Soit le SSP d’Ambert de Sérillac qui déclarera après la guerre : Georg Roeder et Max Jacob sont partis à Garzonval et ont été suivis par une conduite intérieure… avec des membres de la Formation Perrot et le Feldwebel Beckmann. Dans le cas d’Ambert de Sérillac, susceptible de s’être rendu lui-même ou un de ses camarades à Garzonval, Françoise Morvan ne se pose pas la question de savoir s’il se serait trompé, ou, plus plausible, s’il aurait menti… (Il sera le seul des SSP présents à Bourbriac et interrogés séparément après la Libération à avancer cette thèse).

SSP

La Selbschutzpolizei (SSP) de Rennes : Jean-Yves de Cambourg, Jean Frelin, Marcel Durot, Rémi Daigre (rang du haut), Max Jacob [Oscar Marx], René Hocquart, Depin, Roger Silly, Élie Cardun, Paul Anderlé (rang du milieu), Jacques Van Verden, Eugène Martin, Lionel Brot (rang du bas) [NARA 2 Washington].

En définitive, Françoise Morvan exhibe dans son livre pour unique témoin à l’appui de sa thèse de la présence de la Bezen à Garzonval, l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu le Perrot  : un certain René Morvan, qui n’est autre que… l’oncle paternel de Françoise Morvan !  Responsable de l’ANACR à Rostrenen, René Morvan mettait encore en avant en 2003 la thèse plus plausible des « gars du Maréchal », soit encore les SSP, qui auraient accompagné les Allemands à Garzonval. Ce qui confirme seulement l’adage selon lequel, avec les communistes, le passé est encore plus imprédictible que le futur.

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Extrait d’ Ami entends-tu ?, revue de l’ANACR, 2003, n°126, p.9 : de gauche à droite, René Morvan, Arsène Mordelet et Jean Le Jeune, responsable de nombreux crimes commis par le « Bataillon Guy Môquet » dans la région de Rostrenen. L’histoire à géométrie variable selon l’ANACR…

Françoise Morvan ne nous livrera jamais le nom du témoin dont son oncle fait état, car ce témoin n’a jamais existé. La théorie centrale de son livre ne repose sur aucun élément concret, archive ou témoignage incontestable [3].

Du ragot à la radio

Notre historienne nationale a fait des émules à Plougonver en la personne d’Anne Orgeolet, Sophie Legendre et Alain Michel interviewés dans l’émission « Garzonval en mémoire » sur Radio-Kreiz Breizh le 17 novembre 2014, suite à la parution en juillet 2014 d’un ouvrage du même nom édité par la mairie de Plougonver. Une grande confusion dans les témoignages cités, l’incapacité de distinguer un fait d’un ragot, des accusations sans le moindre fondement et sans la moindre réserve dans l’affirmation …  Alors qu’il évoque les « martyrs » de Garzonval avec des trémolos dans la voix, Alain Michel va jusqu’à s’étrangler d’émotion et ne plus pouvoir parler au cours de l’entretien (minute 28 de l’émission) et surjoue la compassion avec un soupçon d’exhibitionnisme. Alors que la culture  bretonne tend à un certain stoïcisme devant la mort et à une certaine dignité devant l’épreuve, on se retrouve au cours de cette émission dans une indécente pleurnicherie.

Au cours de l’émission, les quêteurs de mémoire encensent le « martyr » François-Louis Le Berre, qui a, pour tout parcours « résistant », assassiné Joseph Trémel de Plougonver, au prétexte que ce dernier aurait dénoncé Yvonne Coantiec, née Rannou, qui ne reviendra pas de la déportation. Car l’accusation portée contre Joseph Trémel avec une tranquille assurance par Anne Orgeolet, Sophie Legendre et Alain Michel ne repose que sur des ragots imprécis et contradictoires (d’autres ragots attribuent la dénonciation d’Yvonne Coantiec à une autre personne de Plougonver !). L’intérêt de la démarche est d’illustrer la place du ragot dans la mémoire collective : pourquoi reprendre un ragot à son propre compte  ? Il y a bien sûr le fait de se rendre intéressant et de montrer qu’on sait des choses, qu’on est dans le secret, qu’on dispose du privilège de la confidence. Mais, dans le contexte de la Libération et de la longue période d’instabilité qui a suivi, le ragot permet de  montrer qu’on était du bon côté, qu’on adhère aux thèses du vainqueur ou plus précisément de ceux qui se sont miraculeusement trouvé du côté du vainqueur américain qui n’a fait que passer. En reprenant les thèses de « résistants » armés que l’on craint (les Allemands n’étant plus là pour les tenir en respect), on s’affranchit des reproches potentiels que ces résistants pourraient faire d’avoir été un collabo. Et en dénonçant d’autres prétendus collabo, on démontre davantage encore son adhésion aux thèses résistantes. Le ragot devient un phénomène collectif et durable, un syndrome de Stockholm que les recherches dans les archives qui s’ouvrent enfin vont contrecarrer.

Au cours de l’émission, les quêteurs de mémoire font preuve d’une totale indifférence envers les victimes des « martyrs » de Garzonval : aucune jérémiade pour la fille de Joseph Tremel qui a vu à l’âge de quatre ans son père assassiné sous ses yeux par le « martyr » François-Louis Le Berre. Un acte particulièrement stupide et d’une extrême violence pour un enfant de cet âge. Cet assassinat de Joseph Trémel est une bavure parmi d’autres de la Résistance bretonne [4] et les quêteurs de mémoire de Plougonver sont bien incapables d’identifier les véritables dessous de cette affaire Trémel-Coantiec [5].

Une précision à propos du deuxième criminel parmi les « martyrs » de Garzonval, Jean-Louis Corbel qui a assassiné, sur ordre du Parti communiste le maire de Glomel, Jean-Louis Croizer. Le dossier du complice de Jean-Louis Corbel, Joseph Masson, est aujourd’hui librement communicable depuis le décret du 24 décembre 2015. Ce dossier est en soi probant pour démontrer l’action de Jean-Louis Corbel et Françoise Morvan et ses émules de Plougonver seraient avisés d’aller le consulter avant toute affirmation (ou ragot) sur cette affaire.

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(lien vers l’émission).

Les « bras cassés » de la Résistance bretonne

« Garzonval en mémoire » parvient à ne même pas faire mention du Plougonverois Jean-Baptiste Peton, réquisitionné comme garde des voies et communications et présenté de ce fait par la Résistance callacoise comme un « milicien ».

Vers le 8 août 1944, le résistant Georges Ollitrault et le parachutiste Roger Lobrot investissent Callac sans combat, ce qui marque la libération de Callac, le maquis du même nom se trouvant planqué on ne sait trop où. C’est quelque jours plus tard que Jean-Baptiste Péton est intercepté et assassiné (tué avec préméditation) par ce maquis : l’événement survenant après la libération, l’inculpé ne peut même pas bénéficier de l’ordonnance d’Alger du 6 juillet 1943 qui a largement permis de présenter des vols, des viols et des assassinats comme des actions servant la cause de la libération de la France.

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Extrait d’un document librement communicable relatif à l’assassinat de Jean-Baptiste Péton.

Dans ses mémoires, Valentin Bertrand du maquis de Callac occulte tout simplement l’affaire Péton (dans laquelle on retrouve un protagoniste « résistant » de l’assassinat du barde Émile Bocher et de son frère à Saint-Servais) dont il est le principal inculpé, mais il affirme avoir participé avec ce maquis, alors basé à Trébrivan, au combat de la Pie du 29 juillet : auditionné par nous le 20 avril 2012, nous n’avons pas obtenu de sa part des réponses précises et spontanées sur les circonstances de ce combat, tel qu’on peut s’y attendre de la part de quelqu’un qui a participé à l’action. Ce qui induit un soupçon important sur la réalité de sa participation à cet événement.

Pour ajouter, s’il était nécessaire, encore plus de piment à ces troubles de la mémoire résistante, ajoutons que l’autre résistant que Françoise Morvan prend à témoin n’est autre que Thomas Hillion, dont le parcours résistant consiste surtout à s’être blessé le 15 août 1944 à la main gauche en manipulant un détonateur de grenades, plus d’une semaine après le passage des Américains… de quoi commencer une carrière d’ancien résistant et d’apparatchik au sein de l’ANACR. Et c’est Thomas Hillion, qui se permet de critiquer le résistant au parcours hors normes Georges Ollitrault (né comme Thomas Hillion en 1925)  avec ses trois ans de clandestinité à partir de 1941, ses trois évasions, ses multiples sabotages et combats contre l’occupant… Il est désopilant de remarquer que lorsque Françoise Morvan et Thomas Hillion reprochent à Georges Ollitrault d’avoir mené des actions contre les Allemands (non pas sur son initiative personnelle, mais sur ordre de sa hiérarchie dument officialisée après la libération), ils reprennent littéralement à leur compte les antiennes collaborationnistes qui prévalaient encore dans la presse bretonne au moment des événements :

oe CdN 1944-07-15 p 2cOuest-Éclair [6] du 15 juillet 1944, édition des Côtes-du-Nord, page 2 (3 semaines avant l’arrivée des Américains).

Avec ses accointances résistantes, Françoise Morvan est donc particulièrement bien placée pour constater que la Résistance bretonne a été globalement plus dangereuse pour les Bretons que pour les Allemands… Il lui reste à admettre les évidences.

Petits signes

Notons toutefois dans le post de Françoise Morvan quelques petits signes d’une évolution bien timide. Elle manque d’enthousiasme quand on lui révèle qu’un nationaliste breton (Polig Monjarret) et un Juif ont pu devenir amis, mais au moins ne conteste-t-elle pas les faits. Elle fait état du pacte germano-soviétique : peut-être considérera-t-elle un jour que sans ce pacte, il n’y aurait pas eu de Garzonval.

Françoise Morvan fait aussi mention d’Alice Le Guillou, assassinée par des maquisards FTP bretons montés à Paris après avoir été libérés par les Américains en septembre 1944 pour assassiner cette jeune médecin [7]. Si sa thèse des Perrot à Garzonval est plus que fragile et même inconsistante, celle des FTP de Callac allés à Paris pour violenter la jeune médecin est bien plus sérieuse. Si ce crime, parmi les plus glauques commis par la Résistance bretonne, avait été perpétré par un nationaliste breton, nul doute qu’elle s’en serait indignée depuis longtemps.

Violence, criminalité et idéologies

Le discours de Françoise Morvan, qui prolonge celui d’historiens officiels, tend à présenter la violence et la criminalité comme intrinsèques au nationalisme breton, nationalisme qui serait de surcroît assimilable au nazisme. Dans le même temps, la Résistance serait exempte de toute violence, incapable de crimes, et elle serait inspirée par les plus nobles idéaux, sans arrière-pensées politiques.

Dans les circonstances de la guerre, des nationalistes bretons ont commis des violences envers leurs compatriotes : au moins l’un d’entre eux a torturé (cas emblématique d’Hervé Botros et, dans une moindre mesure, de Joseph Le Ruyet). Plusieurs d’entre eux ont violenté des résistants prisonniers. Il ne peut être formellement démontré qu’ils ont participé à des exécutions sommaires, comme à Creney près de Troyes en août 1944. Les aveux d’André Geffroy, dit Ferrand ou encore Petit Geff, qui a plus ou moins reconnu avoir accompagné le SD dans le bois de Colpo, sont entachés de violences qu’il aurait lui-même subi lors de son internement et de ses interrogatoires. Les violences imputables à des nationalistes bretons se sont exercées dans le cadre de la répression des mouvements de résistance par les Allemands, à l’encontre de certains de leurs compatriotes susceptibles eux-mêmes de leur porter des coups, dans un contexte de guerre dissymétrique entre une armée régulière et des organisations de francs-tireurs.

Mais (à ma connaissance) aucun nationaliste breton n’a été l’auteur de crimes politiques ou de crimes de droit commun contre des civils sans défense comparables à ceux commis par la Résistance bretonne. Aucun n’a exercé de violence contre des femmes, violé ou tondu avec des déviances sexuelles caractérisées. Globalement, les nationalistes bretons ont plus subi des violences qu’ils n’en ont exercées.

De quel bord qu’ils se soient retrouvés, du côté des Alliés ou du côté des Allemands, quel que soit l’uniforme qu’ils ont porté, les nationalistes bretons prenaient pour exemple les républicains irlandais. En cette année du centenaire du soulèvement de Pâques 1916, il est opportun de rappeler qu’ils ont rêvé d’une autre Irlande. Et leur rêve peut être jugé à l’aune de ce qu’est devenu ce pays libéré qui se réconcilie avec son ancien envahisseur. Les citoyens irlandais, qui jouissent aujourd’hui d’une liberté nationale, sont reconnaissants à ceux qui ont sacrifié leur vie pour la souveraineté et la liberté de leur pays.

Pour cette petite nation européenne, les Droits de l’Homme ne sont pas un prétexte à faire la morale au monde entier tout en se dispensant de les mettre soi-même en application. Ce sont des principes portés par les citoyens, à inscrire dans la vie de tous les jours, dans une indéfectible confiance dans l’avenir.

 


[1] : Françoise Morvan laisse entendre (p. 162) que le convoi des Allemands du SD, des SSP et des supposés Perrot quitte Bourbriac pour Scrignac le 16 juillet au soir et se débarrasse en cours de route des prisonniers à Garzonval. L’hypothèse est intéressante. Si ce n’est que Françoise Morvan cite (p. 161) la seule témoin de l’événement, Marie Labat veuve Even, qui indique que trois véhicules venaient de Plougonver et sont repartis dans cette direction (et au-delà, vers Scrignac ou Bourbriac ?). Elle cite aussi (p. 161) l’ancien maire de Bourbriac qui indique qu’une voiture emportant les prisonniers a quitté Bourbriac vers 20 heures 30 [19 heures pour Joséphine Garzuel] et que cette voiture est revenue vers 22 heures, mais vide. Françoise Morvan se pose la question : Les deux autres voitures ont donc poursuivi leur route, mais vers quelle destination ? Si l’ancien maire de Bourbriac affirme qu’une voiture contenant les prisonniers est revenue vide, il n’a pas, ce faisant, affirmé que deux autres voitures ne sont pas revenues à Bourbriac, ce qu’a inféré Françoise Morvan…

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[2] À quel moment les universitaires réputés spécialistes de la Seconde Guerre mondiale en Bretagne, Christian Bougeard et Jacqueline Sainclivier, prennent-ils en compte les archives allemandes ? Ou même les archives britanniques et américaines ?

[3] : Du témoignage dans l’historiographie de la Résistance, de son poids, de ses méfaits, Jean-Marc Berlière (lien).

[4] : cas de l’ingénieur André Roussel assassiné par erreur par le maquis de Callac le 2 avril 1944 : confondu avec l’agent des Allemands Maurice Zeller ou un de ses accompagnateurs.

[5] : la démarche intellectuelle des apprentis historiens est parodiée dans le film Monthy Python : Graal, Sacré Graal… :

[6] : Ouest-Éclair, ancêtre d’Ouest-France, éditeur de… Françoise Morvan !

[7] : sur ce qui se passe dans un certain nombre de lieux de détentions et de tortures du Paris libéré : Ainsi finissent les salauds. Séquestrations et exécutions clandestines dans Paris libéré, de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre, Robert Laffont, 2012.

 

 

Le coup de pied de l’âne

Dans son nouveau roman Mari Vorgan ar Glandour (« la sirène des algues »), l’écrivain, acteur et metteur en scène Goulc’han Kervella cite à plusieurs reprises Roparz Hemon (1900-1978) et son roman Mari Vorgan écrit en 1958, publié en 1962 puis traduit du breton en français en 1981. Anne Bilak, directrice des centres régionaux de documentation pédagogique (CRDP) de Rennes et Nantes, s’offusque de ces citations et elle écrit le 12 décembre 2015 à Michel Quéré, recteur d’académie de Rennes, que Roparz Hemon aurait été radié par le ministère de l’Éducation pour des raisons de collaboration au cours de la Seconde Guerre mondiale. Et elle demande au recteur, qui s’en exécute, d’interdire la publication du roman.

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La diversion d’Anne Bilak ne peut faire oublier que la France vaincue en 1940 proposa à son vainqueur la politique de « Collaboration », ce qui l’amènera à instaurer un « Statut des Juifs » et à consentir un important soutien financier à l’effort de guerre allemand. Et accessoirement, à devenir la principale complice dans un des plus grands crimes contre l’Humanité, la Shoah, avec ses six millions de victimes. Sans oublier d’autres victimes parmi d’autres catégories de la population.

Anne Bilak s’en émeut-elle ?

Accessoirement, Roparz Hemon n’a pas été radié de l’Éducation nationale dont il a démissionné volontairement, mais il a été condamné à dix ans d’ « indignité nationale » en 1945. Il y aurait donc lieu pour Anne Bilak d’accorder de l’importance à des jugements rétroactifs et revanchards de la justice de l’Épuration, un grand moment de l’histoire de France. Anne Bilak ne s’offusque pas de ce que nombreux écrivains français frappés d’indignité nationale après la Libération soient publiés dans la Pléiade et largement cités dans les livres scolaires avalisés par l’Éducation nationale : Sacha Guitry, Henri de Montherlant, Marcel Jouhandeau, Louis-Ferdinand Céline, Jean Giono… Une liste plus complète pourra être trouvée ici.

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Revue « Les ondes », n°135, dimanche 28 novembre 1943, L‘activité de Rennes-Bretagne, pp. 12-13, – Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) et musée d’histoire contemporaine

La remarque d’Anne Bilak est d’autant plus incongrue que, à la différence des écrivains cités précédemment, Roparz Hemon, en tant que Breton, n’a pas le moins du monde été partie prenante ou aurait seulement prôné la politique de Collaboration franco-allemande, globalement défavorable à toute forme d’émancipation de la Bretagne. Si quelques avancées ont été constatées dans le domaine culturel, elles sont dues à l’initiative de quelques Allemands, ce dont il y a lieu de les féliciter. Grâce à ces soutiens, Roparz Hemon s’est surtout consacré pendant l’Occupation à l’Institut celtique et aux émissions en langue bretonne de Radio-Rennes.

Que Roparz Hemon ait écrit en breton plutôt qu’en français et hissé la langue bretonne à un niveau littéraire international indispose plus vraisemblablement Anne Bilak. D’assez nombreux intellectuels français font preuve de mépris envers le fait breton, mais de nombreux autres savent aussi porter l’amour de leur langue et de leur culture françaises sans se laisser aller à ces bassesses. Ce sont sûrement ces derniers qui œuvrent plus utilement pour le rayonnement de la France que quelques besogneux dénonciateurs d’un écrivain de langue bretonne.

C’est une forme de négationnisme que d’accorder de l’importance à des détails de l’Histoire. La condamnation a priori d’un auteur pour son appartenance culturelle sans la moindre appréciation de son œuvre rappelle aussi les plus sombres heures du siècle dernier en Europe. Et l’interdiction de la publication d’une œuvre est une négation flagrante de la liberté d’expression : elle nous renvoie à l’essence même de tous les totalitarismes. Parce que le respect de la vie est essentiel, il faut accorder toute leur place à la littérature et aux arts et à leur enseignement qui concourt au véritable respect de cette vie.

Ene va ene, biskoazh n’em eus ho karet kreñvoc’h eget pa’m eus ho kuitaet. Va c’hrediñ a rit, n’eo ket ? Ezhomm am eus em c’hredfec’h, evid krediñ va-unan. [1]

Cet incident nous rappelle au moins un agréable moment de lecture. Ayant déjà dépassé les événements de la guerre qui vient de se terminer, Roparz Hemon situe son roman Mari Vorgan dans sa chère ville de Brest avec ses connivences océanes. Il le construit sous la forme d’un journal de bord que le médecin du navire Agenor remettra à sa jeune épouse, Adela, lorsqu’il reviendra de son périple. L’intrigue se dévoile et les personnages se révèlent de la fête de la nouvelle poupe à Brest, d’où part l’Agenor avec une passagère clandestine, à la fête du passage de la Ligne… [2]

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[1]  Roparz Hemon, Mari Vorgan, Al Liamm, 1962, p. 28

[2] Pierrette Kermoal, Un ene tan, Preder, 2002.

Lili La Plume

Vient de disparaître Louis Quénéhervé, dit Lili La Plume, de Rosporden, né en 1925, ancien du groupe d’Albert Rivier et de Louis Le Cleac’h, dit Mercier, du mouvement Libération Nord.

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Louis Quénéhervé à Quillien, là où vers midi le groupe FTP de Scaër sollicita le concours du maquis de Quillien le 15 juillet 1944.

Rencontré le 31 octobre 2015, Louis Quénéhervé m’a proposé de se rendre sur les lieux du combat de Kernabat : pas besoin de lui demander. Aucun doute possible, Louis Quénéhervé était bien à Kernabat le 15 juillet 1944, encore en plein dans  l’action une fois rendu sur les lieux. Idéal pour comprendre le terrain et les mouvements des différents protagonistes.

Kenavo Lili.

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Viens rejoindre notre armée !

Citation

J’ai le plaisir de vous annoncer après Arthur et David en 2011 et Joli mois de mai 1944 en 2013, mon troisième livre : Viens rejoindre notre armée ! 1944, une Résistance bretonne à contretemps. Toujours le même cadre de la Bretagne pendant la Seconde Guerre mondiale, cette fois selon le thème des groupes nationalistes bretons, qui vont se retrouver dans des opérations policières et militaires au côté des Allemands ou des Alliés, dans le contexte de la fin de l’Occupation qui fut bien plus une guerre civile qu’une guerre de libération.

En repartant de la réalité du terrain, des témoignages et des archives, et en s’affranchissant des versions officielles que je n’hésite pas à remettre en cause.

Je vous fais part de ma présence au salon des écrivains bretons à Paris le samedi 6 février 2016, 10-19 heures (Salle des Fêtes de la Mairie du 14ème : 12 rue Castagnou, Métro ligne 4 : station Mouton-Duvernet) ainsi que d’une conférence pour présenter ce livre le samedi 5 mars 2016 à 15 heures au Centre culturel breton, place du champ au roy à Guingamp. Cette conférence est organisée par l’Institut de documentation bretonne et européenne (IDBE) basé à Guingamp.

Mon livre est distribué dans les librairies et les maisons de la presse par Coop Breizh et par l’IDBE. Si vous avez des difficultés pour vous le trouver, je peux vous l’envoyer directement : il sera alors dédicacé.

Je vous souhaite bonne lecture,

Bien cordialement,

Yves Mervin

Mon mail : jolimoisdemai1944@free.fr

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Table des matières :

REMERCIEMENTS
AVANT-PROPOS
CONVENTIONS

MÉMOIRE LONGUE ET MÉMOIRE COURTE

LES PIONNIERS
Breiz Dishual
Breiz Atao
Gwenn-ha-du
Nationalistes allemands
Le réveil de Gwenn-ha-du
Kadervenn
Les procès des nationalistes bretons
Abadenn Casement
Le pacte germano-soviétique
La drôle de guerre
L’Effondrement
Le congrès de Pontivy
Le salut au drapeau de la nation bretonne

OCCUPATION ET PRÉOCCUPATIONS
Barbarossa
Le spectre de l’Épuration
La guerre des ondes
Sicherheitsdienst (SD)
Le groupe Vissault
Mission Cockle
Pat O’Leary
Les arrestations de Pontivy
Retour à Londres
Henri Joubard
Le camp de Landivisiau
Yann Bricler
Rendez-vous manqué avec Raymond
La Révolution prolétarienne
Yves Kerhoas
Jean-Marie Perrot
La Bezen Perrot
Communisme de guerre en Morbihan
Le groupe Vissault à Bubry
Les rafles de Baud
Premières opérations de la Bezen Perrot

EN ATTENDANT LE DÉBARQUEMENT
Convulsions et raidissements
Le détournement des armes
Défense de la France
Le Kommando de Landerneau
L’arrestation de Jean Corre
Le Kommando arrête et recrute
L’inspecteur de police Guillaume Le Penduff
Henri Provostic dit Benoît
Éliane et Simone Riou
Paul Gaïc
Édouard Leclerc
André Geffroy et Hervé Botros au Kommando
Le Bataillon Guy Môquet
La rafle de Maël-Pestivien

EN ATTENDANT LES AMÉRICAINS
Au Château du Boro
Albert Duperrier et Madame
Guéméné-sur-Scorff
Justice populaire en Haute-Cornouaille
Le maquis du Lescouët
Broualan
Henri Cevaër père et fils
Bellon, contrôleur du courrier des autonomistes
Locminé
On les aura les Boches ?
Guy Péron
La « Milice bretonne » à Ploëzal
Équipes nationales de la jeunesse
Pardon Vourc’h à Bourbriac
Le maquis de Kerougon
Deuxième expédition à Scrignac
Deuxième parachutage pour Kernabat
Affaire de Hanvec et du Faou
Le maquis de Rosnoën
Théophile Lécuyer de Lesneven
La libération de Scrignac
Les frères Tattevin
Le maquis Bleimor
Le maquis de Moncontour
Le maquis des parachutistes
Le maquis de Lopérec

EN ATTENDANT LA CAPITULATION
Missions radio et sabotage
La retraite de la Formation Perrot
Pierre-Marie Lec’hvien
Corvée de bois à Troyes
Le groupe Liberté
Les maquis nationalistes
Au coeur de l’Allemagne
Le retour de Polig Monjarret
Procès, condamnations et pelotons d’exécution

DEVOIR DE MÉMOIRE
Nation et Résistance
Nation et insurrection
Nation et idéologies
Nation et nationalisme

VISION COURTE ET VISION LONGUE

LEXIQUE
ABRÉVIATIONS
ARCHIVES
BIBLIOGRAPHIE
INDEX
TABLE DES MATIÈRES

Des Juifs qui n’étaient pas vraiment juifs.

C’est nous qui décidons de qui est juif et de qui ne l’est pas.

Joseph Goebbels, Ministre à l’Éducation du peuple et à la Propagande du Troisième Reich

Vient de paraître en novembre 2015, Breiz Atao, Mordrel Delaporte, Lainé Fouéré, Une mystique nationale de Sébastien Carney [1]. Ce livre est dérivé d’une thèse intitulée Les promesses de la Bretagne – Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : génération de l’apocalypse et mystique nationale (1901-1948). Thèse soutenue le 24 novembre 2014 à l’Université de Bretagne occidentale (UBO) de Brest.

Le mouvement breton analysé au travers de la personnalité de quelques-uns de ses leaders : en résumé, quatre fils de bourgeois peu doués pour la Révolution prolétarienne [2] s’égarent dans le nationalisme breton : dans les circonstances de la Seconde Guerre mondiale, le résultat ne serait pas à la hauteur des espérances.

Des quatre personnages passés au crible par l’auteur, j’ai rencontré Olier Mordrel en 1979 et j’en garde, comme de nombreux autres, le souvenir d’un intellectuel pour le moins brillant. D’une insolente audace dont manquent la plupart des Bretons. Quatre fois condamné à mort : par les radicaux-socialistes de la Troisième République, par les collaborateurs avec les Allemands, par les gaullistes de Londres [3] et enfin par les Cours de justice de l’Épuration. Et toujours prêt à repartir au combat : insubmersible ! Avec un sourire exprimant une inébranlable confiance en sa personne, sa nation et son droit.

J’ai aussi rencontré Yann Fouéré sur le tard en mai 2006, il avait 96 ans et encore toute sa vigueur intellectuelle et tous ses souvenirs. Une rencontre marquante, qui m’a incité à lire par la suite ses ouvrages. Juriste, haut fonctionnaire, sous-préfet, directeur de journal, écrivain, chef d’entreprise en Irlande… Et lui aussi avec le sourire gourmand de l’intellectuel qui attend de son interlocuteur la répartie qui fera de la conversation un instant inoubliable.

Le risque de s’attaquer à ces personnages, c’est de révéler ses propres préjugés et orientations idéologiques. À cet égard, le pensum de Sébastien Carney reste dans la ligne des productions du Centre de recherche bretonne et celtique (CRBC) de l’UBO, même s’il fait preuve d’un peu plus de circonspection que ses prédécesseurs et si l’on devine qu’il s’affranchira un jour des figures imposées.

En 2000, Ronan Calvez ,du CRBC, traite du cas d’Olier Mordrel [4] et de ses relations avec un Allemand qui a l’infortune d’être classé juif par les nationaux-socialistes, Julius Pokorny [5]. Il produit alors le commentaire suivant :

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Citation du texte d’Olier Mordrel par Ronan Calvez ([4], p. 22).

Ronan Calvez, qui développe une très personnelle théorie de la « Pangée » [7] bute sur une réalité qui, pour le moins, n’étaye pas son propos. Car le texte original d’Olier Mordrel dans son livre Breiz Atao [6] à propos de l’universitaire celtisant Julius Pokorny est le suivant :

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Texte original d’Olier Mordrel ([6], pp. 242-243)

Mais que voilà donc une situation bien étrange : Olier Mordrel qui se déclare bien ami avec un Juif persécuté par les nazis et qui raille avec son humour habituel, Ludwig Mülhausen, un membre du parti nazi ! Ronan Calvez, qui n’hésite pas à accuser Olier Mordrel de négationniste de la Shoah, trouve la solution : il raye la petite phrase embarrassante : ni vu, ni connu ! Pas vu, pas pris ! Sans bruit, sans traces !

Sébastien Carney n’élude pas la question, mais la traite d’étrange façon. Cette fois dans le cas du peintre Fritz Heinsheimer [2], lui aussi catalogué comme Juif par les nationaux-socialistes et membre de l’église païenne de Friedrich Hielscher, l’Unabhängige Freikirche (« église libre indépendante »). Sébastien Carney déclare dans sa thèse, p. 949, à propos de Friedrich Hielscher [8] :

En fait, il a pu être profondément choqué par ce qu’il a vu lors d’une visite du ghetto de Lodz, où il découvre l’existence des fours crématoires et le gazage des Juifs. Mais les quelques rares interventions qu’il fera en faveur de Juifs concerneront essentiellement des membres ou proches de son église, autrement dit, des païens… Aussi ce n’est pas des Juifs qu’il sauve, mais ses fidèles. Par exemple, le peintre Fritz Heinsheimer caché quelque temps chez Ange Péresse en 1943 et dont la mystique des toiles évoque bien plus la liturgie de son église que la Torah [9].

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Der Kahlköpfige – im Rahmen (portrait de Friedrich Hielscher par Fritz Heinsheimer, avec l’aimable autorisation de la propriétaire du portrait)

Les époux Engel, beaux-parents d’Albert Richter, un ami d’école de Friedrich Hielscher, se trouvent enfermés avec leur fille et son enfant au ghetto de Lodz en Pologne vers 1941. Le 28 septembre 1941 et le 15 mai 1942, Friedrich Hielscher se rend dans ce ghetto avec un laissez-passer établi par Wolfram Sievers, directeur de l’Ahnenerbe, une institution « scientifique » nazie, sous le prétexte d’enquêter sur une vieille potion aryenne dont le secret aurait été conservé par les Juifs. Arrivé au ghetto de Lodz, Friedrich Hielscher apprend que les Engel ont été déportés à Auschwitz. Avec la complicité de Otto-Ernst Schüddekopf, membre de son cercle, qui fournit un faux passeport hongrois, ce qui permet à Thérèse Richter de passer en Suède le 23 juillet 1943 sous prétexte de mener des « travaux secrets pour les services d’Hitler » ([9] pp. 266-267, [10]). Albert Richter et sa famille ne sont pas membres du cercle de Hielscher.

La découverte de l’extermination des Juifs, au moins d’une partie de cette extermination, aura probablement affecté Friedrich Hielscher. Elle a aussi marqué l’écrivain et militaire Ernst Jünger ami de Hielscher [11]. Il reste pour certitude que Friedrich Hielscher et quelques Perrot ont préservé Fritz Heinsheimer des persécutions nazies et que, ce faisant, ils lui ont temporairement sauvé la vie tout en encourant un risque non négligeable.

Sébastien Carney ajoute à propos de Friedrich Hielscher et des Perrot qui ont secouru Fritz Heinsheimer :

Les lettres adressées par Heinsheimer sous le pseudonyme de Fernand [12] aux membres de l’unité Perrot furent consciencieusement archivées, comme autant de certificats d’antinazisme de l’Unité.

Des Perrot de la Bezen Perrot auraient donc deviné en 1943, au moment où ils s’engageaient au côté des Allemands, l’issue de la guerre. Au-delà, ils auraient anticipé les retours de mémoire qui perdurent aujourd’hui… Peut-être plus simplement ne se sont-ils aucunement soucié de quelque certificat de nazisme ou d’antinazisme que ce soit, dans l’immédiat ou dans le futur.

Sébastien Carney nous fait donc part de ce qu’il pense de ce que pensaient ses personnages étudiés. Nul ne sait ce que ces personnages auraient pensé de ce que Sébastien Carney pense qu’ils pensaient. Je suppute quelques sourires amusés et indulgents.

Pour des raisons idéologiques, Joseph Goebbels avait décidé que Fritz Heinsheimer était juif et, pour d’autres raisons idéologiques, Sébastien Carney a décidé qu’il ne l’était pas. L’intéressé ne  semble pas avoir éprouvé le besoin de nous faire part de son avis sur cette question.

Yves Mervin

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Fritz Heinsheimer dans son atelier dans les années 1930

[1] Sébastien Carney, Breiz Atao, Mordrel Delaporte, Lainé Fouéré, Une mystique nationale Presses universitaires de Rennes, 2015.

[2] au fait, la Révolution prolétarienne : va falloir attendre encore longtemps ?

[3] Yves Mervin, Viens rejoindre notre armée ! Une Résistance bretonne à contretemps, YM, 2016, pp. 114-119.

[4] Ronan Calvez, La radio en langue bretonne, Roparz Hemon et Pierre-Jakez Hélias : deux rêves de la Bretagne, Presse universitaires de Rennes, Centre de Recherche Bretonne et Celtique, 2000.

[5] Ó Dochartaigh Pól, Julius Pokorny, 1887-1970: Germans, Celts and nationalism, Four Courts Press, Dublin, 2003.

[6] Mordrel Olier, Breiz Atao, histoire et actualité du mouvement Breton, Éditions Alain Moreau, Paris, 1973.

[7] Théorie de Ronan Calvez selon laquelle la pensée des nationalistes bretons, et en particulier celle de Roparz Hemon, procéderait d’une démarche monolithique et totalitariste : elle serait comparable à un phénomène géologique qui se situe il y a 300 millions d’années au moment où les continents de la terre n’en forment qu’un seul avant de se séparer. L’auteur qui ne doute pas de la pertinence de son analogie se réfère à chaque page de son livre à la voix de la Pangée, au dessein de la Pangée, à l’émergence de la Pangée, aux thèmes de la Pangée, aux adeptes de la Pangée, à l’espace intemporel de la Pangée, à l’histoire de la Pangée, au chemin de la Pangée, à l’avenir de la Pangée, à la langue de la Pangée, à l’idéologie de la Pangée…

[8] Ina Schmidt, Der Herr des Feuers, Friedrich Hielscher und sein Kreis zwischen Heidentum, neuem Nationalismus und Widerstand gegen den Nationalsozialismus, SH-Verlag, 2004.

[9] Ernst Jünger, Premier journal parisien II 1941-1943, Christian Bourgeois, 1950.

[10] Tel Aviv University, Sourasky Central Library, The Wiener Collection : Dossier Friedrich Hielscher avec témoignages de l’intéressé, de Fritz Heinsheimer, d’Otto-Ernst Schüddekopf et autres.

[11] Fritz Heinsheimer 1897-1958, Ein rationaler Künstler in einer irrationalen Zeit, Werks-Verzeichnis, Teil I, Herausgeber Klaus Kauffmann : cette rétrospective de l’oeuvre de Fritz Heinsheimer comporte des scènes qu’a manifestement vécues cet ancien grand blessé de Verdun en 1917, des portraits – dont plusieurs anonymes de Friedrich Hielscher et un de Gerhard Von Tevenar, de Bertholt Brecht, des nus, des paysages, des scènes de travail, de compétitions sportives… Et des peintures des trois rois mages – référence chrétienne – et de Prométhée – mythologie grecque…

[12] J’ai rencontré en 2013 un nationaliste breton proche de la Bezen Perrot, sans en faire partie, qui a bien connu « Fernand » Husser, soit Fritz Heinsheimer, à Paris fin 1943 et qui me l’a présenté comme l’ « ami juif de Célestin Laîné ». Ce nationaliste breton devient après la Capitulation en Allemagne interprète dans un régiment gallois…

Le cas Françoise

Dans un post sur son blog intitulé : Réécriture de l’histoire : Le Cas Mervin, Françoise Morvan revient sur le « résistant » Jean-Louis Corbel à propos duquel j’ai affirmé qu’il a participé l’assassinat du maire de Glomel, Jean-Louis Croizer. Je n’ai pas bien suivi Françoise Morvan dans les méandres de ses argumentations. Tout et son contraire ayant été dit sur les sujets qu’elle aborde, elle peut à coup sûr brandir une citation qui ira dans le sens de sa Vérité bien à elle sans que la moindre objection ne vienne saper ses certitudes. Elle papillonne ainsi d’imprécations en anathèmes qui se termineront par l’incrimination de quelqu’un qu’elle aura désigné comme nationaliste breton.

Coco et Mataff

Je ne m’attarderai pas à réexposer que le groupe Bara et le maquis Tito ne peuvent être considérés comme issus l’un de l’autre, quand bien même ils relevaient tous de l’organisation FTP de la Résistance communiste des Côtes-du-Nord. Le premier dépendait du maquis de Rostrenen commandé Jean-Louis Henry dit David rattaché à Jean Le Jeune. Le maquis Tito est une émanation directe de la brigade de sabotage, de Louis Pichouron, prédécesseur de Jean Le Jeune à la tête des FTP des Côtes-du-Nord. Les exactions du groupe Bara ne sont pas à mettre au compte du maquis Tito. Les enquêtes que j’ai menées sur cette question n’ont d’ailleurs jamais fait que confirmer les analyses qu’avait établies le résistant qui a écrit les premières pages de Joli mois de mai 1944.

Il ne me revient pas d’infirmer que le maquis Tito a été infiltré par des agents du SD mais à celle qui l’affirme, Françoise Morvan, d’expliquer comment ce maquis aurait été infiltré, quel agent l’aurait pénétré, à quel moment et dans quelles circonstances. Enfin, si ce maquis a été réellement infiltré, pourquoi a-t-il survécu si longtemps pendant des mois jusqu’à la Libération alors que tant d’autres n’ont eu qu’une durée de vie éphémère.

En ce qui concerne Jean-Louis Corbel, dont j’aurais voulu « salir » la mémoire, la question qui se pose est de savoir si c’est lui ou un autre qui a accompagné Joseph Masson dans son expédition commanditée par le Parti communiste français contre le maire de Glomel Jean-Louis Croizer le 22 mai 1944. Le juge qui instruisit le dossier de Joseph Masson relança par deux fois l’enquête pour identifier l’acolyte. Il ne parvint pas à conclure sur son identité, en particulier parce que les responsables de celui qui fut fugitivement chef du groupe Bara s’abstinrent de lui donner l’information. Aujourd’hui, deux de ces anciens résistants qu’elle connait bien peuvent toujours révéler à Françoise Morvan l’identité réelle du comparse. Toutefois, si ces résistants encouragent probablement Françoise Morvan dans sa croisade « à elle toute seule » contre les moulins à vent du nationalisme breton, on peut douter qu’ils estiment nécessaire de l’édifier sur certains dessous de la réalité résistante dont elle a pris la cause.

J’ai basé mes affirmations sur Jean-Louis Corbel à partir de divers témoignages, sans citer mes témoins, et je comprends que l’on puisse douter de mes dires, mais quel serait l’intérêt à long terme de se lancer dans une imposture ? Le temps passant et après la parution de Joli mois de mai 1944, les réticences à parler s’estompent. A la suite du post de Françoise Morvan, j’ai repris contact avec mes témoins. Le premier d’entre eux, celui chez qui Joseph Masson et Jean-Louis Corbel se sont invités en allant accomplir leur « mission » chez le maire de Glomel, n’est plus de ce monde. Mais sa famille est aujourd’hui dépositaire du témoignage de ces événements marquants.

Le deuxième témoin, celui dont Joseph Masson s’apprêtait à exécuter un parent proche, m’a d’abord confirmé son témoignage. L’occasion m’est au moins donnée de préciser que c’est Jean-Louis Corbel, qui a dissuadé Joseph Masson de passer à l’acte : « Tu ne vas quand même pas tuer … ? ». Jean-Louis Corbel aura donc au moins  épargné la vie d’un de ses compatriotes qu’il connaissait personnellement alors qu’il a assassiné le maire de Glomel en lui tirant le coup de feu selon le témoignage de Joseph Masson. Jean-Louis Corbel est aussi désigné par divers témoignages comme ayant participé avec de nouveau Joseph Masson à l’assassinat en bande organisée sous le contrôle du Parti communiste français des frères Yves et François Le Cann au Mezouët en Glomel le 11 mai 1944. Il a aussi été soupçonné dans l’assassinat des familles Le Du et Le Dantec en Mellionec. Passons sur les nombreuses attaques de fermes, vols, violences et menaces du groupe au printemps 1944.

Le deuxième témoin a écrit ses souvenirs à l’attention de sa descendance et ces souvenirs font désormais partie des archives familiales. J’ai posé à ce témoin la question de savoir s’il accepterait de rencontrer Françoise Morvan. Ma question a rencontré une certaine perplexité. La réputation de notre « historienne » étant assez bien établie dans son soviet cantonal, est-ce bien utile de lui faire part d’un témoignage qu’elle contestera ? Au cours de notre conversation, mon témoin m’a demandé pourquoi Françoise Morvan considère que Yves Corbel est un « malfrat » et que le « malheureux » Jean-Louis Corbel est un « résistant ». Il les aurait bien vus dans une seule et même catégorie. Pourriez-vous, Françoise*, avoir l’amabilité de répondre à la question de mon témoin ?

Le troisième témoin est celui qui a rencontré Jean-Louis Corbel entre le moment où celui-ci avait perpétré l’assassinat du maire de Glomel, avant de se faire arrêter lors de la rafle du 11 juillet à Saint-Nicolas-du-Pélem puis d’être achevé à Garzonval en Plougonver le 16 juillet 1944. Il m’a lui aussi confirmé son témoignage. Désolé, Françoise, mais ce troisième témoin, lui ne vous connait pas ! Il ne m’a pas parlé de Jean-Louis Corbel en termes très peu élogieux : « voyou… bandit… pauvre type… abruti complet… » et « paix à son âme ! » Mais vous êtes là Françoise et vous pourrez enfin nous expliquer ce en quoi ce « malheureux » Jean-Louis Corbel fut un résistant et quelle furent ses actions contre l’Occupant (vous n’ignorez bien évidemment pas que notre pays était occupé à ce moment).

Les témoignages de ces trois témoins sont cohérents et indépendants des questions de pseudonymes. En définitive, ces témoins ne m’appartiennent pas. J’ai bien réussi à les identifier et les solliciter et Françoise Morvan devrait pouvoir en faire autant. Elle peut si besoin solliciter ses accointances résistantes pour ce faire. Son oncle René Morvan, qui m’a personnellement accueilli à Rostrenen lors de la signature de mon livre le 5 octobre 2013 (je me réjouis qu’il ait pu à cette occasion revoir Georges Ollitrault… ) ne pourrait-il lui venir en aide ?

Tito

Le maquis Tito en position. Ne pas confondre avec les groupes Bara ou de Foucault. Des maquis résistants ont effectivement agi contre l’occupant allemand et non pas contre leurs compatriotes (photographie Georges Ollitrault – photo prise au moment des événements, il ne s’agit pas d’une reconstitution)

Les bons Juifs et les bons Résistants

Selon Françoise Morvan, pour mieux « salir la Résistance », j’épargnerais aussi un résistant, Georges Ollitrault, comme « tout antisémite [qui] a dans ses relations un bon juif qu’il aime ». Je commencerai par un ancien résistant que je connais particulièrement bien, Marcel Mervin. Au cours de mes enquêtes, j’ai eu le plaisir de découvrir qu’il était en bons termes et même apprécié des descendants d’une famille de Silfiac mortellement éprouvée par la Résistance communiste. Après des décennies d’adhésion à des associations résistantes, il a fini par rompre définitivement avec elles, lassé par les vanités et les fanfaronnades. Il s’était engagé pour libérer son pays, non pas pour donner l’occasion à des factieux d’occuper le terrain à la Libération et de perpétuer une guerre civile larvée dans laquelle il ne se reconnaissait pas.

J’ai posé un jour à Georges Ollitrault la question de savoir s’il y a en Bretagne un résistant au parcours aussi exceptionnel que le sien. Il m’a répondu « oui, certainement ». Reste à savoir qui et pour le moment la question reste sans réponse. Ce parcours s’explique en partie par de la chance, mais surtout par de remarquables formes physique et capacité psychologique à comprendre l’adversaire. L’adversaire plutôt que l’ennemi, car Georges Ollitrault n’est pas motivé par la haine de l’autre. L’adversaire d’aujourd’hui est l’allié de demain est le but de la guerre n’est pas de l’anéantir. Quitte à chercher à le comprendre encore en le rencontrant 70 ans après les événements et à serrer la main d’un Perrot. Aujourd’hui Georges Ollitrault jouit de sa liberté retrouvée et entraîne chaque semaine ses chevaux sur l’hippodrome de Loudéac.

Prenons maintenant le cas d’un autre résistant, mentionné par Françoise Morvan dans Miliciens et maquisards…, Ouest-France, 2010, p. 182 (citation d’un article de presse non identifié):

Un évadé. Pourtant, lors de l’attaque du convoi sur la route, un des prisonniers, M. Lemoine, s’était évadé. C’était un cultivateur. Il a les cheveux gris, mais parait solide comme le granit breton. Il était le plus âgé et fut le seul à tenter l’évasion. _ Quand les coups de feu éclatèrent et que les gardiens nous firent descendre du camion, je n’ai pas hésité et j’ai couru vers le bois d’où venaient les coups de feu. J’aimais mieux risquer la mort à cette place que sous le feu du peloton allemand.

Ce « M. Lemoine », Julien Lemoine, n’est autre que le père de Pierre Lemoine que Françoise Morvan alpague sans vergogne dans un autre de ses posts, encore plus difficile à décoder que celui qu’elle bien voulu me dédier. Quelques années après son évasion rondement menée, Julien Lemoine noua des relations amicales avec un des gardiens qui l’encadraient dans le camion, en l’occurrence un Bezen Perrot. En dépassant les griefs qu’il était fondé de lui faire, il a choisi résolument de ne pas laisser le passé obérer l’avenir.

Dans toute son action militante, Pierre Lemoine, lui aussi résistant comme son père et son frère, a poursuivi l’attitude d’intelligence du coeur et de la raison de Julien Lemoine, en continuant en particulier l’action européenne d’un autre résistant breton, Joseph Martray, fondateur de l’Union fédéraliste des communautés européennes (UFCE). Cette ONG œuvre pour le respect des individus et des minorités nationales et culturelles ainsi qu’en faveur de la paix en Europe. Pierre Lemoine en devint président en 1990 et, conscient des enjeux de l’Histoire, de la mémoire tout autant que des conditions de la paix et des fondements de la civilisation, il agit plus particulièrement pour l’ouverture à l’est de l’Union européenne. Là même où survinrent les prémices des deux Guerres mondiales, et où, après avoir été libérés du nazisme, les nouveaux Etats-membres subirent près d’un demi-siècle de communisme, jusqu’à la chute du Mur de Berlin en 1989. Je me suis personnellement rendu à un congrès de l’UFCE à Pecs en 2008 pour constater son action et son influence dans l’Union européenne.  Une remarquable réussite de la diplomatie bretonne.

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Tchéquie, Prague : monument aux victimes du régime communiste, œuvre du sculpteur Olbram Zoubek inauguré en 2002. Un monument aux victimes du communisme reste à élever en Bretagne (photo Yves Mervin).

Pour les familles qui ont subi pendant la guerre des privations ou des seuls dégâts matériels, et quand même la mort les a frôlées, la réconciliation ne pose pas de questions fondamentales, car les préjudices subis sont réparables. Les familles frappées par des deuils, doivent d’une part surmonter la perte d’un être cher et accepter de discuter de la justesse de la cause au nom de laquelle ces êtres chers ont disparu. En glorifiant les uns et en bannissant les autres, la mémoire officielle de la Résistance a interdit le deuil aux uns et autres. Et au-delà, elle interdit la réconciliation, qui n’est pas un oubli, mais l’acceptation du caractère définitif des événements et de la volonté de coexister de nouveau au sein d’une même société quels que puissent être les héritages personnels des uns et des autres.

Je me souviens des silhouettes fragiles d’une mère et d’une sœur lors des commémorations auxquelles je participais dans ma jeunesse : retrouvailles sur la place, discours du président de l’association résistante, du maire et du sous-préfet, Chant des partisans qui contrit les âmes, Marseillaise qui galvanise les esprits, vins d’honneur, libations, repas généreux dans la salle communale, pousse-café et re-pousse-café… J’arrête là l’évocation, car à ce moment la mère et la sœur aux silhouettes fragiles sont retournées chez elles depuis longtemps.

L’Allemagne offre aujourd’hui aux jeunes Bretons de réelles opportunités de carrière qu’ils ne trouvent pas en France. Qui a vraiment gagné la guerre ? Lorsque les jeunes Lorientais « allemands » – des STO ? – reviennent au pays, ils ramènent avec eux l’histoire d’une nation qui réalise un projet et se construit une histoire. La grand-tante de l’un d’entre eux a conservé pour dernière image de l’Allemagne celle d’un camion qui emmenait l’un de ses frères dont on retrouva le corps au fort de Penthièvre. Si l’avenir de son petit-neveu passe par l’Allemagne elle l’admet, mais avec amertume.

J’ai été exposé très jeune à la douleur de certaines familles. J’ai découvert tardivement celle des « autres » familles. Il est possible que le mal-être de Françoise Morvan tienne en partie à la disparition de son grand-oncle Joseph Bob Pennec, arrêté et décédé en déportation en mai 1945. Qui plus est, son père et son oncle campaient dans un maquis près de Sainte-Tréphine où furent raflés la plupart des victimes de Garzonval : elle pourrait avoir hérité ou développé un syndrome des survivants que je pourrais entretenir tout autant qu’elle. Il va tout d’abord de soi que si j’avais, comme l’avance Françoise Morvan la possibilité de réécrire l’histoire, Joseph Pennec, quels qu’aient été ses torts et ses mérites, ne serait pas mort en déportation. Plus généralement, je me serais bien passé de l’héritage indésirable de la Seconde Guerre mondiale et j’imagine que j’aurais alors d’autres sujets de conversation avec la petite nièce de Joseph Pennec.

Dans le « cas Françoise », je ne sais pas bien dire si les séquelles de la guerre se prolongent en traumatismes insurmontables, de génération en génération ou si, les grandes illusions collectives perdurant malgré les leçons de l’Histoire, le passé fournira éternellement des prétextes aux volontés d’en découdre d’aujourd’hui.

Yves Mervin

* Françoise Morvan me reproche de l’appeler par son seul prénom dans un de mes précédents posts. Elle y voit une marque de machisme qui l’offense. Je devrais effectivement ne pas déroger à la règle de nommer un personnage public par ses prénom et nom, sans ajouter un Monsieur ou Madame qui pourraient être condescendants. Mais je ne suis pas totalement convaincu de la sincérité de son indignation féministe. Je le serais si elle se départait de sa glaciale indifférence envers les nombreuses victimes féminines de la Résistance bretonne dont je décris le sort dans Joli mois de mai 1944 : Alice Le Guillou, Désirée Le Méné, Marianne Lincot, Joséphine Lincot, Marguerite Le Moal, Françoise Le Moal, Céline Maubré, Marie Maubré, Denise Le Nancq, Jeanne Coroller du Guerny, Odette Baubion, Lucie Le Moël, Alberte Le Mintier de la Motte-Basse, Marie Le Fur, Osmane Le Fur, Bernadette Guirriec, Gertrude Baumgarten, Marie Le Manac’h, Félicité Hello, Henriette Aymer de la Chevalerie, X épouse Le Luel, X. épouse Fontanaud, X Baucher…  Et tant d’autres dont le calvaire risque de sombrer dans un oubli définitif. Ces victimes n’éludent pas et ne sont pas à opposer à des victimes des Allemands et de Bretons comme Mireille Chrisostome, Odette Le Merrer…

L’ignorance et l’innocence

La propagande communiste menace les gens de rater le train de l’histoire, de rester désespérément en retard sur leur époque et de mener une vie inutile, de même que les nazis les menaçaient de vivre en désaccord avec les lois éternelles de la nature et de la vie, en détériorant leur sang d’irréparable et mystérieuse façon.

Hannah Arendt, Le Totalitarisme.

Vincent Jaglin jouait encore il y a peu à la guerre et au résistant. Il vénérait et vénère toujours sans doute Charles De Gaulle, Jean Moulin et Raymond Aubrac. Il vient de produire un documentaire, La découverte ou l’ignorance, sur ses tourments après avoir découvert que la légende qui fondait sa personnalité avait une face cachée. La plupart des individus découvrent au passage de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte, que les fondamentaux de leur éducation reposent sur des bases parfois simplistes voire erronées qui les préparent plus ou moins à affronter la vie réelle et à devenir autonomes.

Je me souviens d’un professeur de français qui demanda à ses collégiens dont le père avait été résistant qu’ils se levassent. Nous fûmes deux à le faire, ce qui me surprit car je pensais alors que tous les Français s’étant insurgés contre l’Occupant, la classe entière aurait dû se lever. Ce n’est que plus tard que je soupçonnais de la malice dans la question de ce professeur dont je suspecte qu’il n’avait pas de sympathies résistantes exacerbées. En l’attente, je constatais que tous les Français n’avaient pas été résistants, et je fis, lors de la récréation, connaissance de celui qui s’était levé en même temps que moi, en l’occurrence le fils d’un excellent camarade de mon père au maquis puis en Allemagne.

C’est à peu près à la même époque, qu’une réflexion de mon père m’interpella : « Pour celui-là, c’était moins grave, c’était un Pétain ». Je ne me souviens pas qu’il ait jamais parlé d’un opposant en termes méprisants et discriminatoires. Il y avait plutôt du fatalisme désabusé, non du dénigrement dans sa remarque. Le maréchaliste bon teint en question, n’eut jamais l’occasion de devenir rétrospectivement gaulliste après la Libération : il fut fusillé quelques jours avant lors de représailles des Allemands à la suite d’une action du maquis de mon père. Mais je découvrais, ce n’étais pas une surprise mais seulement une précision, une petite étape dans la découverte de la complexité du monde, que non seulement les Français n’avaient pas été tous résistants, mais que certains s’étaient même opposés aux résistants.

J’ai fréquenté trop de résistants dans ma jeunesse pour avoir eu des héros résistants et je ne me souviens pas avoir joué au résistant. Je les ai appréhendés dans leur diversité. J’éprouve, selon le cas, de l’affection ou de la réserve à leur égard. Je ne me suis jamais illusionné sur leur capacité à s’accorder suffisamment avant de convenir d’une action. C’est tardivement que j’ai découvert la face cachée de la Résistance : très peu de combats, beaucoup trop de victimes. De la déception, sans que cela ébranle mes convictions profondes, et pas de surprises dans le passé familial.

Vincent Jaglin ne se pose pas la question de savoir pourquoi à la Libération Charles de Gaulle ordonna de geler le dossier de Jean Moulin, alors que les noms de tous ceux qui dénonçaient leurs camarades aux Allemands pour les éliminer étaient parfaitement connus. Ou si Lucie Aubrac a réellement mené une opération pour sauver son mari… Son mythe de la Résistance reste intact. Il a seulement découvert que le passé de sa famille était contradictoire avec ce mythe sur lequel il a construit sa personnalité.

Vincent Jaglin réalise alors sur le sujet un documentaire intimiste où il interviewe les membres de sa famille. Je ne suis pas friand de téléréalité mais l’exercice est bien mené et la spontanéité des dialogues illustre la transmission des souvenirs, l’échange des avis et l’évolution des idées dans un cadre familial, chacun étant confronté différemment au monde extérieur.

Non seulement Vincent Jaglin associe sa famille à la quête de son identité réelle, mais il suit aussi une thérapie de choc avec deux « spécialistes » de la question de la mémoire de la guerre : dans un harmonieux kan-ha-diskan*, Françoise Morvan et Kristian Hamon révèlent à l’ingénu l’abomination  que représente à leurs yeux le nationalisme breton.

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Élève appliqué, Vincent Jaglin écoute Françoise Morvan lui expliquer l’horreur nationaliste.

Les deux spécialistes – tous deux unilatéraux et de même latéralité – s’abstiennent de commenter le cas de l’arrière-grand-père, Vincent Hirgair, qui connait le destin suivant, d’après un document écrit par un abbé Mary, curé de Baud (qui faillit en même temps que son vicaire se retrouver prématurément devant Dieu le Père) :

Vincent [Hirgair] est emmené dans le camp, jugé par les parachutistes, condamné à mort, obligé de creuser sa fosse, faire sa prière s’il le veut. Il s’agenouille et dit : « je vous pardonne pour le mal que vous m’avez fait. » Joachim [Le] Nicol dit Ruiz me disait en me racontant tout cela : « Celui-là c’était un homme ! » C’est un Polonais déserteur de l’armée allemande qui est désigné pour l’exécuter. Il lui donne des coups de poignard dans le dos et comme il ne mourrait pas assez vite, il lui donne un coup dans le cœur puis lui tranche la gorge. Ils l’enterrent près de Gozh Kamor.

Pour mieux imaginer quelle a pu être cette scène, on trouve des égorgements très récents de chrétiens en vidéo sur internet : âmes sensibles s’abstenir ! Ou demander à Françoise Morvan qui a établi une comparaison avec les djihadistes dans le documentaire.

Il existe au moins une autre version de la disparition de Vincent Hirgair, tout aussi sanguinaire, mais où les FTP ne s’embarrassent pas d’un parachutiste qui traînerait dans les parages et participerait à un « tribunal » dont on n’est même par sûr de trouver trace dans des archives à Moscou. Il n’y a pas non plus d’étranger, Polonais ou Espagnol, à qui serait délégué le privilège, après l’abbé Emmanuel Rallier de Bieuzy-Lanvaux, d’éliminer un chrétien. Les deux spécialistes auraient pu expliquer à Vincent Jaglin que les nazis avaient remis au goût du jour, à l’instigation de Heinrich Himmler après l’attentat contre Adolf Hitler du 20 juillet 1944, une soit-disant ancienne coutume teutonne, la Sippenhaft. C’est-à-dire la culpabilité familiale et la responsabilité du clan en cas de défaillance de l’un de ses membres.

Ah oui, je suis encore en train de confondre le nazisme et le communisme. J’ai vraiment du mal à faire la différence. L’équivalent de la Sippenhaft chez les communistes, c’est la « parenté avec un ennemi du peuple ». C’est celà, Vincent Hirgair était en définitive « parent d’un ennemi du peuple ». En pardonnant à ses assassins** et en s’accrochant à ses vieilles superstitions, il avait suffisamment démontré qu’il n’était pas digne de participer à la Lutte finale. Et le glorieux FTP Joachim Le Nicol, ce progressiste et cet esthète, avait bien agi dans le sens de l’Histoire et de la philosophie des Lumières dont Françoise Morvan nous a rappelé l’importance.

Désormais, quand il retournera dans la cour de l’école jouer au résistant avec ses copains, Vincent Jaglin sait qu’il lui faudra emmener un couteau de cuisine bien aiguisé et non pas une mitraillette Sten. D’ailleurs, l’ancien de la Bezen Perrot, « Braz », le camarade de ses deux grands-oncles,  lui a dit que cet engin « tirait partout sauf dans la cible ». Et il n’est pas sûr que les résistants attaquaient souvent à la Sten, car « Braz » espérait déserter au moment d’une attaque qui n’est jamais venue. Les résistants n’ont pas attaqué ?

Lors du débat qui a suivi le documentaire, Christian Bougeard, Professeur d’histoire à l’Université de Bretagne Occidentale à Brest, a béni la prestation en qualifiant le travail non seulement de « mémoriel » mais aussi d’ « historique ». Christian Bougeard a repris un discours maintenant bien rôdé (nous y reviendrons) : les  Bretons représentaient 17 % des engagés volontaires de la France, bien plus que la région parisienne qui était dans les 5%. Les résistants bretons n’ont donc pas eu besoin des Parisiens pour renvoyer les Occupants dans leurs foyers !

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Fac-similé de la une du 15 mars 1944 du journal Ouest-Eclair, ancêtre d’Ouest-France,  après quatre ans d’occupation et quatre mois avant la libération.

En 2002, Christian Bougeard organise à l’Université de Bretagne occidentale (UBO) un colloque sur les identités régionales pendant la Seconde Guerre mondiale. Après cela, tout est dit, les débats ont eu lieu, ite missa est. Toutefois, une thèse du chercheur au Centre de recherches bretonnes et celtiques (CRBC) de l’UBO à Brest, Sébastien Carney, participant lui aussi au débat, apporterait quelques menus compléments. Enfin Jean-Michel Le Boulanger, du Conseil régional de Bretagne, qui n’a « jamais serré la main à la Bretagne » – aurait-il serré celle de la France ? – est le troisième et dernier participant au débat.

Au moment de la conclusion, alors que la paix régnait entre les Celtes rassemblés autour de la table, que l’unanimité tendait à l’apothéose, un désaccord est apparu entre Sébastien Carney – attention au « coup de Breizh », Françoise Morvan veille sur vous – et Jean-Michel Le Boulanger. D’abord le verbatim :

L’animateur, Yvon Clech : Est-ce que les Bretons d’aujourd’hui ont intégré cet héritage, est-ce qu’ils l’ont rejeté, est-ce que l’exercice du droit d’inventaire a bien eu lieu ?

Jean-Michel Le Boulanger : je crois qu’il y aurait une erreur à commettre, c’est d’imaginer que tous ceux qui ont aujourd’hui la Bretagne au cœur, qu’ils soient régionalistes, qu’ils soient autonomistes et qui développent dans le monde culturel et dans le monde politique un discours de la Bretagne seraient les héritiers de ces nationalistes qui auraient pactisé avec la barbarie***, c’est faux, totalement faux, je suis régionaliste et je me nourris bien davantage de tout ceux qui, Bretons qu’ils étaient, combattaient pour nos libertés et qui étaient du côté de la Résistance. On peut être militant breton tout en étant lié à cet héritage là qui est l’héritage de l’honneur.

Sébastien Carney : Eh bien je ne suis pas du tout d’accord, parce que le Gwen-ha-du, le bzh, les bagadoù, les écoles Diwan, ce ne sont pas les résistants de la Seconde Guerre mondiale qui les ont inventés. Donc il y a un héritage et regarder cet héritage en face ce n’est pas forcément revendiquer les idéologies [qui l’a créé]. Donc il faut être honnête et reconnaître, oui on est héritier de ce qui s’est passé dans les années 30 et 40 en grande partie.

Jean-Michel Le Boulanger : On est donc d’accord…

Là, j’ai besoin de plus d’explications. La repentance, la bienpensance et l’œcuménisme, tout cela n’est pas trivial.

L’héritage, plaisant ou déplaisant, sera assumé en l’état, il n’y a pas d’autre choix. En tenant compte des leçons du passé, l’avenir pourra être ardemment désiré.

Yves Mervin

* kan-ha-diskan : chant traditionnel breton où un chanteur reprend le couplet du premier et ainsi de suite sans jamais s’arrêter.

** Vincent Hirgair aurait donc eu le temps de se rendre compte de ce qui lui arrivait. Si ce pardon a eu lieu – quelqu’un remettrait-il en cause la parole de Joachim Le Nicol ? – sa famille aujourd’hui serait malvenue de ne pas pardonner elle aussi…

*** il pourra le confirmer ou l’infirmer, mais il ne fait pas allusion ici au cas de Vincent Hirgair. Peut-être que je confond encore nazisme et communisme…

Werner Best

Vient de paraître aux éditions Perrin « Portraits de nazis – Werner Best » par les traducteurs Eric Kerjean et Wiebke Hildebrandt [5]. Il s’agit d’une traduction des écrits de Werner Best qu’il a lui même intitulé « Portraits des dirigeants nationaux-socialistes ». Les auteurs agrémentent la traduction du texte de quelques notes de contexte utiles et de leurs opinions personnelles qui peuvent gagner en maturité.

Werner Best a été étudié par Henri Fréville [3] et l’ouvrage incontournable sur le personnage émane de l’historien allemand Herbert Ulrich [4]. Herbert Ulrich, qui dresse une description très « Sonderweg »* de la genèse du nazisme en Allemagne, est aussi très centré sur le personnage de Werner Best qui revêt ainsi une importance dans l’histoire qu’il n’a probablement pas eue.

Werner Best est un personnage intéressant pour la Bretagne, dans la mesure où il s’agit d’un nazi qui s’est authentiquement intéressé à notre pays. Qui plus est, ce nazi a atteint le quatrième rang dans la hiérarchie du 3éme Reich, avant Reinhard Heydrich, Heinrich Himmler et Adolf Hitler. Pas banal. Formellement, il y a un autre nazi qui s’est aussi intéressé à la Bretagne : l’universitaire Ludwig Mühlhausen. Nazi dans la mesure où il a adhéré au parti nazi, ce qui reste le principal critère pour qualifier quelqu’un de tel mais, en l’occurrence, ce qui n’a eu aucune conséquence significative, son rôle ayant été seulement culturel.

Ces deux personnages ne doivent pas occulter les nationalistes allemands antinazis avec lesquels des nationalistes bretons ont été plus intimes  : en particulier des officiers de la Wermacht , les « Bretonnen », dont Schenk von Stauffenberg, oncle de l’auteur de l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944, Gerhard von Tevenar, du service de renseignement de la Wehrmacht, l’Abwehr, et Friedrich Hielscher. Fondateur et animateur du Cercle de Hielscher, ce dernier put sauver quelques Juifs dont Thérèse Richter et, en lien avec la Bezen Perrot, le peintre Fritz Heinsheimer, hébergé fin 1943 en Bretagne par la famille d’Ange Péresse [7, 8]. Nous aurons sans doute l’occasion de revenir sur ces personnages ainsi que sur des nationalistes bretons engagés dans la Résistance à l’Allemagne.

Orphelin d’un père mort sur le front ouest, Werner Best est d’abord un produit de la Première Guerre mondiale, du Traité de Versailles et de l’Occupation française. Son propre domicile étant occupé par les Français, il développe un sentiment nationaliste et s’engage à restaurer l’Allemagne dans ses droits et sa puissance. Après avoir fréquenté les milieux nationalistes conservateurs, Werner Best entame une carrière au sein du parti nazi puis de l’appareil d’Etat nazi qui débute par son adhésion au parti en 1930, après les premiers succès électoraux, trois ans avant l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir.

L’année suivante en 1931, l’affaire de Boxheim éclate : il s’agit de la divulgation de documents du parti nazi écrits par Werner Best et relatifs à la préparation d’un coup d’état dans le Land de Hesse. Cette affaire le fait remarquer et le propulse dans la hiérarchie du parti. Il est ensuite impliqué dans la nuit des longs couteaux et dans les préparatifs de l’Anschluss avec l’Autriche. Il organise le Reichssicherheitshauptamt (RSHA), l’Office central de sécurité du Reich, dont il peut être considéré comme l’organisateur administratif. Au sein de ce RSHA, il met en place les Einsatzgruppen (groupes de police spéciaux en arrière des troupes allemandes) lors de l’invasion de la Pologne dans le contexte du pacte germano-soviétique où les deux totalitarismes, nazi et communiste, font alliance contre les démocraties parlementaires.

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Séance de « travail » du RSHA. De gauche à Droite : Reinhard Heydrich, Heinrich Himmler, Hans Frank, Werner Best, Wolf von Helldorff, Max Daluege (Bundes Archiv, Bild 183-S21077).

L’action de Werner Best, sa personnalité et sa psychologie, peuvent plus particulièrement être appréhendés en trois circonstances et sur trois thèmes différents :

  • la question bretonne
  • la question des otages
  • la question juive

Nous y ajouterons la question des idéologies et des personnages qui les incarnent.

Die Bretonfrage (la question bretonne)

Werner Best éprouve à l’égard de la Bretagne et des Bretons un a-priori favorable qui naît lors de l’occupation de la Rhénanie après le Traité de Versailles. Il observe alors que l’attitude des Français est le plus souvent arrogante et dominatrice alors que celle des Bretons est respectueuse de la population allemande. Au tout début de l’Occupation, il rédige un document sur la situation géostratégique de la Bretagne : Die Bretagne als Eckpfeiler des deutschen Wacht am Atlantik (« La Bretagne comme pierre angulaire de la garde atlantique de l’Allemagne »). Henri Fréville présente ce document [3, 28], où Werner Best fait état de tendances séparatistes chez les Bretons et de leurs accointances avec les autres pays celtiques d’outre-manche, comme la synthèse la plus claire des sphères politico-militaires allemandes. Ce document traduit la pensée du seul Werner Best et Henri Fréville produit une Note sur la question bretonne » du général allemand Alfred Streccius bien plus représentative de ce que sera l’attitude des Allemands envers le mouvement breton.

Suite à la dissolution du Parti national breton en 1939, ses dirigeants historiques Olier Mordrel et Fransez Debeauvais se réfugient en Allemagne. Ils sont alors condamnés à mort le 7 mai 1940 par le tribunal militaire de Rennes. Après la mise en place de la Collaboration franco-allemande, le gouvernement français sous l’Occupation envisage fin 1940 d’arrêter ces ex-dirigeants et de rendre exécutoire la sentence, ce qui revient à les supprimer physiquement. Avertis d’une arrestation imminente, ils s’adressent à Werner Best, qui intervient auprès des autorités françaises pour les dissuader de poursuivre leurs intentions. Alors qu’ils ont failli en être les victimes définitives, ces nationalistes bretons sont néanmoins régulièrement présentés aujourd’hui comme des suppôts de la Collaboration franco-allemande.

L’intérêt de Werner Best pour la Bretagne aura des conséquences anecdotiques. Au nom de la bonne marche de la Collaboration franco-allemande, il approuve même fin 1941 un projet de découpage régional qui détache le département de Loire-Atlantique du territoire de la Bretagne historique. C’est ce même découpage que le gouvernement de Manuel Valls vient d’entériner de nouveau lors de la dernière réforme territoriale de 2014.

Die Geisel Frage (la question des otages)

Le 22 juin 1941, Adolf Hitler met fin par surprise au pacte germano-soviétique avec l’envahissement de l’Union soviétique lors de l’opération Barbarossa. Après 22 mois de complicité avec les Nazis, le Parti communiste français, devient alors « résistant ». Pour venir en aide au camarade Staline et ouvrir un front intérieur dans l’Europe occupée, il perpètre alors des attentats dont celui du colonel Karl Hotz le 20 octobre 1941 à Nantes, ami de Werner Best. Adolf Hitler ordonne alors, en représailles, l’exécution de prisonniers politiques. Tant le chef de l’administration militaire allemande, Otto von Stülpnagel, que son adjoint Werner Best tentent d’infléchir, sans succès, la position du Führer.

Sur cette question, la position personnelle de Werner Best est sans ambiguïté. Sa conviction s’est elle aussi forgée lors de l’Occupation française en Rhénanie : il observe alors que la brutale répression française de la Résistance allemande est contre-productive. Son attitude ne relève pas nécessairement d’un intérêt pour les personnes concernées mais surtout pour favoriser l’acceptation de la présence allemande par la population et son assentiment pour la Collaboration. Werner Best adoptera la même position plus tard au Danemark, sans beaucoup plus de succès à l’encontre des directives qu’il recevra.

Cette question des otages abonde dans le sens de sa défense lors de ses procès de 1946 et 1966. Il avancera qu’il était alors impossible, dans la machine nazie, de s’opposer aux ordres d’Adolf Hitler, sans risquer fatalement se retrouver « an der Wand », c’est-à-dire fusillé. Lorsqu’il adhéra au parti nazi, a-t-il alors été happé par une machine infernale dont il n’a pas eu d’autres choix que de l’accompagner dans sa course folle ?

Die Judenfrage (La question juive)

Sur ce sujet, les propres écrits de Werner Best constituent la première source pour analyser son antisémitisme [3]. Il ne parait pas douteux que pour Werner Best, le salut du peuple allemand nécessite la séparation des éléments juifs qui l’ont envahi, le dénaturent, l’empêchent d’exprimer toutes ses facultés et de réaliser pleinement son destin. Son antisémitisme de « raison » ne repose pas sur une haine particulière. L’éloignement parait envisageable, en encourageant les Juifs à rejoindre le mouvement sioniste jusqu’à l’aliyah. Le meurtre n’apparait pas comme une nécessité, mais en cas d’insuccès, est-il tabou ?

Les actes confortent-ils les écrits ? Werner Best se compromet lourdement dans la mise en place des Einsatzgruppen, unités de police opérant à l’arrière de la Wehrmacht lors de l’envahissement de la Pologne en 1939, lors de ce qui s’appellera l’opération Tannenberg. Les nazis détruisent l’élite polonaise et en particulier les Juifs. Ils créent les premiers ghettos et la Werhmacht commet ses premiers crimes de guerre avec la destruction de villes et de villages. Dans le même temps, les soviétiques s’acharnent eux aussi, pour d’autres motifs idéologiques, sur l’élite polonaise comme à Katyn où ils fusillent 15 000 officiers polonais.

Ses relations avec Reinhard Heydrich étant devenues exécrables, Werner Best démissionne du RSHA et c’est avec la Wehrmacht qu’il arrive à Paris, au Mililtärbefehlshaber (MBF), l’administration de l’armée allemande qui gère la convention d’armistice et l’occupation. Parmi quelques dizaines de fonctionnaires, il contrôle les décisions du gouvernement français et il encourage, sans avoir nullement besoin de les violenter, les autorités françaises à mettre en place les mesures anti-juives, comme le statut des Juifs et le port de l’étoile jaune. Herbert Ulrich décrit sur ces points un Werner Best qui serait un personnage central, le « régisseur allemand de la collaboration administrative en France » [4, p. 402], un deus ex-machina qui aurait à lui seul orchestré la dérive antisémite et la participation de la France dans la Shoah.

Or, en particulier grâce aux historiens Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton [6], il est maintenant établi que le Statut des Juifs du 3 octobre 1940 a été publié en concurrence avec l’ordonnance allemande du 27 septembre et n’en est pas une traduction. Alors que l’ordonnance allemande établit la judéité sur la religion – un terme de Werner Best  ? – le statut des Juifs français parle de race juive : Article premier – Est regardé comme juif, pour l’application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif. Les auteurs mettent bien en évidence le rôle de Werner Best dans l’internement de Juifs et le port de l’étoile jaune et, ce faisant, son rôle reste secondaire par rapport à celui de l’ambassadeur Otto Abbetz ou celui du représentant du RSHA à Paris, Theodor Dannecker. Surtout, les auteurs révèlent le rôle propre des responsables politiques et de l’administration française, qu’Herbert Ulrich évoque à peine.

Le Matin

Le Matin, journal parisien, quelques jours avant la publication du statut des Juifs – Après la défaite, l’Effondrement et l’Occupation, la société française et sa classe politique vont développer un antisémitisme violent tendant à rendre les Juifs responsables des événements. Un autre Sonderweg ?

Avant que son ancien supérieur Heinrich Heydrich arrive à Paris pour donner une nouvelle impulsion à la Collaboration des polices françaises et allemandes, Werner Best part pour le Danemark et n’est donc pas impliqué dans la mise en place de la rafle du Vel’ d’hiv le 16 juillet 1942 qui marque le début de la Solution finale en France

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Reinhard Heydrich, reçu par en grandes pompes dans la Ville-Lumière du Pays des Droits de l’Homme par René Bousquet, responsable de la police et artisan de la rafle des Juifs au Vél’ D’Hiv, incidemment ami de François Mitterrand (voir l’archive).

Au Danemark, le juriste et policier Werner Best devient plénipotentiaire du Reich, pays occupé depuis 1940. Sa mission consiste à gérer l’occupation allemande de ce pays destiné à être associé au Reich allemand. Un an après son entrée en fonction, à l’été 1943, alors que la population danoise se rebiffe de plus en plus ouvertement, que des grèves paralysent le pays et compromettent l’appréciable contribution danoise à l’effort de guerre allemand, Werner Best, est urgé de mettre en œuvre la Solution finale au Danemark. Il prépare l’opération et envoie le 4 septembre 1943 un télégramme à Berlin indiquant que l’opération de déportation des Juifs est à mener maintenant ou jamais. Mais, dans le même temps, il s’en confie à son adjoint Franck Duckwitz qui avertit le 28 septembre 1943, le leader du parti social-démocrate Wilhelm Buhl et les anciens Premiers ministres Hans Hedtoft et Per Albin Hansson. Ces derniers relaient l’information à la communauté juive et organisent la fuite par voie maritime de 5919 Juifs danois en Suède. 472 personnes sont néanmoins capturées. Werner Best plaide alors pour qu’ils soient envoyées au camp de Theresienstadt réservé aux personnalités juives que le régime nazi n’envisage pas d’éliminer immédiatement. 48 n’en reviendront pas.

Herbert Ulrich avance qu’à ce moment, Werner Best, aurait à lui seul pris l’initiative de l’opération sans avoir été pressé de le faire et que Franck Duckwitz aurait révélé un secret déjà bien ébruité. Mais son interprétation des documents qu’il veut bien mettre à la disposition de ses lecteurs laisse perplexe et il est difficile de croire que Werner Best, à l’occasion d’une des nombreuses crises qui vont désormais marquer les relations entre les Allemands et les Danois, ait recherché l’épreuve de force alors qu’il a constamment agi, pour le plus grand bien du Troisième Reich, dans le sens du compromis et de l’apaisement des tensions.

Les traducteurs [5, p. 194] nous font part de leur interprétation de l’attitude du personnage à ce moment :

En octobre 1943, le RSHA a cherché à déporter les 6 000 à 7 000 Juifs danois. Werner Best le sait, mais il a encouragé cette politique. Manquant de forces de police pour procéder à l’arrestation des Juifs et pour ne pas porter atteinte à l’échec prévisible de cette opération, il a savamment orchestré la fuite de la date de l’action. Après guerre, il a présenté cette affaire sous un jour meilleur en se faisant le sauveur des Juifs danois.

Werner Best met en avant auprès de von Ribbentrop que les forces policières sont insuffisantes pour la réussite de l’arrestation-déportation des Juifs, ce qui peut s’interpréter autant comme une insuffisance à pallier qu’un argument pour renoncer ou au moins différer ce projet. Werner Best n’est pas personnellement chargé de l’opération d’arrestation et de déportation des Juifs danois mais c’est Rolf Günther, spécialement mandaté par Adolf Eichmann, qui en est chargé. Werner Best peut laisser courir les événements  : quelle qu’en soit l’issue, sa responsabilité ne sera pas engagée. Il reste difficile de cerner avec certitude certains points de la pensée d’un Werner Best en octobre 1943 au Danemark et on peut en sus se poser la question de ce qu’ont voulu exprimer les traducteurs-commentateurs.

En mettant Franck Duckwitz dans la confidence, ce qui n’est pas nécessaire et même contre-indiqué pour le « succès » de l’opération, Werner Best s’attend-t-il à ce que Franck Duckwitz relaye cette indiscrétion et va-t-il même jusqu’à lui suggérer d’organiser la fuite des Juifs danois comme reconstitué dans cette émission de la BBC :

Cette explication est plausible, elle n’est pas incompatible des événements connus, mais pourra-t-elle jamais être confirmée ? On peut émettre l’hypothèse que Werner Best a évolué d’une velléité de déporter un jour les Juifs danois à une volonté plus ou moins affirmée de les sauver, non pas par empathie ou commisération pour ces personnes mais parce que son action au Danemark aurait été définitivement vouée à l’échec en persévérant dans cette voie. Et la collaboration en bons termes avec les autorités danoises, autant qu’elle peut l’être à la fin 1943, avait à ses yeux bien plus d’importance que le sort de quelques milliers de Juifs danois. Hannah Arendt le présente comme suit [2, p. 1187] : Autant que nous le sachions, c’est le seul cas où les nazis rencontrèrent une résistance déclarée et il semble que ceux qui y furent exposés ont changé d’avis. Hannah Arendt avance aussi quant à l’ étrange Dr Best [2, p. 1187] :

Werner Best prétendit à Nuremberg qu’il avait joué un double jeu subtil, et que c’était grâce à lui que les responsables danois avaient été informés de l’arrestation éminente; on lui opposa des documents prouvant que c’était lui qui avait proposé l’opération danoise à Berlin, mais il expliqua que cela faisait partie du jeu. Il fut extradé au Danemark et là, condamné à mort, mais il fit appel, et les résultats furent surprenants ; du fait de nouvelles « preuves », la sentence fut commuée en cinq ans de prison, dont il fut libéré peu après. D’une manière satisfaisante pour la cour danoise, il a dû être capable de prouver qu’il avait fait de son mieux

Il est inopportun, et même malvenu de la part de Français ou d’Allemands, de remettre en cause le jugement danois qui a retenu que Werner Best n’a pas pris l’initiative de la déportation et a tenté de limiter ses conséquences. C’est bien au Royaume du Danemark, qui a porté assistance à ses citoyens juifs en danger, et non pas au Pays autoproclamé des Droits de l’Homme, qui a sciemment envoyé ses citoyens juifs vers les camps de la mort [4], que la Bretagne doit trouver sa référence résistante.

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Werner Brest – Franck Duckwitz

La question des idéologies

Le nazisme est-il un événement historique singulier qui ne ressemble à aucun autre, parce que certains de ses crimes contre l’Humanité sont commis au nom d’un racisme biologique ? Parce qu’une autre spécificité du nazisme serait de ne pas se fonder sur une revendication universelle ? Ces spécificités interdisent-elle de comparer le nazisme à d’autres grands événements de l’histoire ? Est-ce le crime en lui-même qui est abject et condamnable ou seulement le mobile ou encore le fondement idéologique du crime ? Un crime contre l’Humanité est-il acceptable et même louable s’il est perpétré au nom d’un « humanisme » à prétention universelle mais plus ou moins vernaculaire et plus ou moins éphémère ?

Werner Best répond partiellement, mais assez précisément, à ces questions dans ses portraits des dirigeants national-socialistes quand ils les compare à d’autres personnages historiques. Tout d’abord, à propos d’Heinrich Himmler [5, p. 184]:

Himmler était non seulement l’éducateur d’un ordre d’élite, mais aussi le chef de l’institution la plus complexe de l’état : la police. Dans cette fonction aussi, son trait de caractère dogmatique de « maître d’école » a eu une influence et des conséquences fatales et imprévisibles. Je ne trouve qu’un seul parallèle historique à ce dogmatisme de « maître d’école » ayant conduit à des actions destructrices : Robespierre. Je vais examiner et expliquer les rapports entre les deux. Bien qu’il fût juriste, Robespierre était lui aussi un « maître d’école » dogmatique. Lui aussi était un « romantique » qui voulait renouer avec les vertus de la République romaine. Lui aussi croyait en l’idéal pédagogique et ne tolérait aucune désobéissance à cet idéal. Lui aussi se faisait un devoir de supprimer tous les ennemis de son dogme et de ses principes . Lui non plus n’était pas un égoïste aspirant au pouvoir pour en tirer profit, ou un « sadique » qui torturait et tuait par cruauté. Il était simplement le « maître d’école » sévère, implacable et dogmatique de la Révolution française.

Dans son Essai sur la Révolution [1, p. 163], Hannah Arendt compare la Révolution américaine et la Révolution française, ou encore la Révolution de la Liberté qui a réussi à la Révolution de l’Egalité qui a échoué. Si, dans son Essai, Hannah Arendt n’élude pas les violences de la Révolution française, elle ne traite pas en soi du génocide vendéen, le premier génocide et Crime contre l’Humanité de l’Histoire moderne perpétré en partie sur le territoire de la Bretagne : un oubli ?. Sans établir de parallèle entre Heinrich Himmler et Maximilien Rosbespierre, elle dresse par touches successives un portrait qui n’est pas contradictoire avec celui de Werner Best de l’autre psychopathe Robespierre [qui] avait substitué un torrent de violence irrésistible et anonyme aux actions libres et réfléchies des hommes, tout en continuant à croire cependant que ce torrent pouvait être dirigé par la force de la vertu humaine.

Werner Best fait aussi allusion au continuateur de la Révolution française, Napoléon Bonaparte, à propos de la répression d’un mouvement de résistance pendant la guerre d’Espagne. Selon Werner Best [5, p. 195] :

Historiquement, elle [la répression] appartient probablement à Napoléon Ier, qui avait déclaré en Espagne: « Pour combattre les partisans, il faut opérer à la manière des partisans » (en français dans le texte).

Nous n’avons pu certifier ces propos, qui paraissent vraisemblables eu égard à la forme de guerre qui s’est développée après l’invasion de l’Espagne par les armées napoléoniennes, où l’atrocité des deux camps atteint des niveaux comparables à ceux de la Seconde Guerre mondiale. Sur cette question, le petit caporal devenu empereur aurait donc eu un émule en la personne de l’ancien caporal de l’armée allemande devenu Reichsführer.

Werner Best n’avait pas lu Hannah Arendt. Il n’en a pas eu besoin pour appréhender, peut-être encore mieux que la philosophe, l’universelle banalité du mal.

Yves Mervin

* : « Sonderweg » (« chemin particulier ») : théorie qui veut que le nazisme soit un phénomène typiquement allemand.

Bibliographie :

[1] Arendt Hannah, Essai sur la Révolution, Gallimard, Paris, traduit de l’anglais par Michel Chrestien (titre original : On the Revolution, Hannah Arendt 1963,

[2] Arendt Hannah, Les origines du totalitarisme – Eichmann à Jérusalem, Quarto Gallimard, Paris, 2002

[3] Fréville Henri, Archives secrètes de Bretagne 1940-44, Ouest-France,1985.

[4] Herbert Ulrich, Best – Biographische Studien über Radikalismus, Weltanschauung und Vernuft – 1903-1989, Dietz, 1996. Traduit de l’allemand en français par Dominique Viollet sous le titre Werner Best, Un nazi de l’ombre (1903-1989), Tallandier, 2010.

[5] Kerjean Eric – Hildebrandt Wiebke, Portraits de nazis – Werner Best, Perrin, 2015.

[6] Marrus Michaël R. , Paxton Robert O., Vichy et les Juifs, Calmann-Lévy, Paris, 1981.

[7] Mervin Yves, Arthur et David – Bretons et Juifs sous l’Occupation, Yoran Embanner, 2011.

[8] Schmidt Ina, Der Herr des Feuers, Friedrich Hielscher und sein Kreis zwischen Heidentum, neuem Nationalismus und Widerstand gegen den Nationalsozialismus, SH-Verlag, 2004