Handicap relatif. Handicap absolu ?

La question que j’ai posée lors du colloque « Ré-écrire l’histoire de l’Occupation en 2019 ? » organisé par l’association pour une Histoire scientifique et critique de l’Occupation (HSCO) à l’École nationale des Chartes, Paris le 25 septembre 2019, soit :

La Résistance armée : atout ou handicap pour la Libération ?

porte en elle l’idée selon laquelle, non seulement la Résistance pourrait ne pas avoir été un atout pour la libération, mais elle pourrait avoir été un handicap.


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L’intitulé même de la question ayant surpris, elle donne l’occasion de faire le point sur les réponses – partielles – qui ont été apportées jusqu’à présent.

Bilans d’actions

La contribution de la Résistance à la libération est généralement traitée sous la forme d’un bilan d’actions, plutôt exprimé en tant qu’actif (actions ayant abouti à un résultat positif) que passif (actions à résultat négatif).

Passons immédiatement à une thèse récente et assez osée : dans Les mythes de la Seconde Guerre mondiale, Perrin, 2015, sous la direction de Jean Lopez et Olivier Wievorka, Jean-François Muracciole, traite, parmi quelques 23 autres, le mythe : La France a contribué à la victoire des Alliés. En résumé, tant la résistance intérieure que la Résistance extérieure, soient les Forces françaises libres (FFL), n’ont pas contribué à la victoire : elles n’ont  eu qu’un rôle négligeable, voire nul.

On ne peut que rejoindre Jean Lopez quand il déclare (minute 3:00 ci-dessous) : Avec ou sans la France, le Troisième Reich aurait été battu et les Américains auraient libéré la France.

Il y a cependant lieu, au moins en ce qui concerne la Bretagne, de préciser quelques points avancés par les auteurs, en particulier sur le sabotage et l’insurrection libératrice.

Le sabotage

La Résistance a pratiqué le sabotage, ce dont attestent le mieux les archives de la Wehrmacht. L’effet du sabotage est occasionnellement direct (quand le sabotage détruit le matériel militaire et fait des victimes parmi les Allemands), mais c’est plutôt un effet d’usure qui se constate dans la durée plutôt qu’immédiatement.

Le cas du Kampfgruppe Heintz (groupe de combat nommé selon son commandant) de la 275e division d’infanterie est largement mis en avant pour démontrer l’efficacité du sabotage par la Résistance. Jean Quellien, La bataille de Normandie – 80 jours en enfer, Taillandier, 2014, fait une description précise (pp. 86-87) des tribulations de ce Kampfgruppe pour arriver sur le front de Normandie  : ce qui résulte non seulement des sabotages de la Résistance, mais aussi des sabotages effectués par des Cooney Parties (des parachutistes SAS – Special Air Service – spécialisés dans le sabotage), du Transportation Plan (bombardement des gares se situant à des nœuds ferroviaires) ainsi que des attaques par les chasseurs-bombardiers alliés sur les trains circulant sur les voies.

Tous ces moyens n’empêchent pas les divisions allemandes d’arriver de Bretagne en Normandie. Dans le point de situation allié au 12 juin 1944 ci-dessous (carte plus large), la 275e division d’infanterie est bien présente vers le 12 juin 1944 (6 jours après le Débarquement, pas 17 jours après)  et les autres divisions (77 ID, 3 FSD, 265 ID…) y arrivent à leur tour. Le sabotage a donc bien retardé l’arrivée des renforts venant de Bretagne, mais ne les a pas empêché d’y arriver et de participer aux combats. Si ces renforts n’avaient pas été retardés, ils n’en seraient pas moins arrivés trop tard pour menacer le succès du Débarquement, ayant surtout mené des combats défensifs contre les Alliés.

Même avec des effets limités, le sabotage est à mettre à l’actif de la Résistance bretonne.

Incidemment, Jean-François Murraciole met en évidence que la lenteur [de la division Das Reich] à regagner le front de Normandie résulte moins du harcèlement des FFI que du temps passé à les réduire. Stationnée loin de la Normandie dans la région de Toulouse et Montauban, cette division à plus pour mission de contrecarrer un débarquement annexe sur la côte atlantique (Fortitude South) ou la Méditerranée. Elle se met en marche vers le nord de la France, pour la Normandie ou pour le Pas-de-Calais.

L’ « insurrection libératrice »

Jean-François Murraciole, Histoire de la Résistance en France, Presses universitaires de France, 2012, pp. 117-118, avance :

Partout où les FFI se sont heurtées seules et de front aux Allemands, leur déroute a été totale, issue qui n’est pas surprenante quand on se rappelle leur  immense dénuement matériel.

En particulier en Bretagne, non pas par manque d’armement, mais par manque de formation, d’encadrement et d’organisation. A propos des combats de Saint-Marcel du 18 juin 1944, Olivier Vieworka, Histoire de la Résistance 1939-1944, Perrin, 2013, p. 399, parle de demi-échec  : c’est mieux que de parler de victoire comme le revendique la résistance bretonne, de « victoire psychologique », succédané de victoire militaire, ou même de demi-victoire. Mais n’hésitons pas à parler, en termes militaires, soit de défaite : défaite sur le terrain et échec global de la stratégie SAS dans le contexte du Débarquement allié, au moins des « centres mobilisateurs ».

Harcelée par les Allemands pendant la bataille de Normandie et menacée d’être détruite complètement, la résistance ne devient pas un foudre de guerre à l’arrivée des Américains. Elle parvient à « libérer » des villes que les Allemands ont quittées et où les Américains ne passent pas. Les missions Jedburgh amortissent le choc culturel entre francs-tireurs et armée régulière américaine. Le summum revient à la mission Aloes – un état-major FFI annexe à l’état-major FFI à Londres – parachuté près de Saint-Brieuc –  qui n’a rien coordonné (selon un rapport britannique : order, counterorder and confusion).

En ce qui concerne la Bretagne (op. cit, p. 347), Jean-François Murraciole affirme : Après la percée d’Avranches, les FFI normands et bretons servent d’éclaireurs aux Américains qui pénètrent en Bretagne…  Mobiles, au contraire de la Résistance qui agit localement, les divisions blindées américaines assurent elles-mêmes le « scouting » lors de la poursuite.

Il n’y a donc pas eu de levée en masse au moment du Débarquement et pas plus d’insurrection libératrice à l’arrivée des Américains, autres formulations du mythe.

Conclusion

Si l’on considère les résultats à l’avenant des moyens engagés par les Britanniques, en l’occurrence, les moyens en hommes (parachutistes) armement et logistique aérienne, on peut parler de handicap relatif. Ce constat est aussi peu souhaité par les Britanniques (en l’occurrence, le SOE) que la Résistance, pas seulement bretonne.

Il reste à poursuivre par des analyses plus spécifiques sur les modes opératoires de la résistance qui n’est pas assimilable à une armée régulière et l’ambiguïté entre guerre de libération et guerre civile.

Le verdict pourra alors être sans appel.