Conférence à Saint-Brieuc

affiche conférence 2La fondation Yann Fouéré et l’Institut de documentation bretonne et européenne (IDBE), soit l’important fonds documentaire laissé par Yann Fouéré, ont bien voulu organiser une conférence à Saint-Brieuc le 7 septembre 2013 à l’occasion de la parution de Joli mois de mai 1944. D’un commun accord, nous avons invité l’Association nationale des anciens combattants de la Résistance (ANACR) des Côtes d’Armor, une association qui regroupe à l’origine les anciens Francs-Tireurs Partisans (FTP) rattachés au Parti communiste. Pour l’anecdote, j’ai hérité d’une collection d’environ une vingtaine de cartes d’adhésion annuelles à l’ANACR au nom d’un certain Marcel Mervin, mon père, qui s’est retrouvé à la fin de l’Occupation dans un maquis FTP. J’ai connu dans ma jeunesse de nombreux FTP : je peux témoigner de ce que la plupart étaient de braves gars seulement engagés pour la libération de leur pays et qui ne maîtrisaient pas toutes les subtilités de l’organisation à laquelle ils ont appartenu.

L’ANACR des Côtes-d’Armor a mandaté deux de ses membres, Thomas Hillion et Valentin Bertrand, nés en 1925. Valentin Bertrand a souhaité prendre la parole pendant quelques minutes au début de ma conférence, ce que je lui ai accordé. Emprunt d’une certaine émotion, il a rappelé son parcours et celui de sa famille pendant la guerre, exposé sa conception de la Résistance et protesté contre ma manière de relater les faits de cette période dans Joli mois de mai 1944. En contestant le titre même, qu’il a trouvé sarcastique (ce titre provient des écrits d’un résistant FTP du Finistère, écrits qui ont servi de base à Joli mois de mai 1944, et dans lesquels on trouve l’expression « Joli mois de mai de Glomel »). Valentin Bertrand a aussi précisé qu’il a été acquitté en 1953, lors d’un procès qui l’a opposé à l’une de ses victimes, non pas allemande mais bretonne. Ce qui illustre toute l’ambiguïté des résistances gaulliste et communiste, qui s’en sont d’abord pris à leurs compatriotes avant de s’en prendre à l’occupant. Impression qui ressort également à la lecture des souvenirs de Valentin Bertrand qu’il a transcrits dans son ouvrage 1940-1945 – La Résistance face aux nazis. Région de Callac, édition n°5, 2012, dont il a bien voulu me céder un exemplaire début 2012. C’est par ailleurs la Compagnie Tito qui a investi la place de Callac avec Charles Moreau et la parachutiste Loic Raufast lors de la Libération.

Lorsqu’un résistant a été amené à tuer un ou des Allemands dans les circonstances de la guerre, ce résistant éprouve souvent un sentiment de culpabilité pour avoir ôté la vie à un être humain, même si les circonstances de l’occupation et la nécessité de survivre aux dépens de l’autre contribuent à justifier ces actes. On peut imaginer a fortiori un sentiment de culpabilité encore plus fort quand il s’agit, plutôt que d’un Allemand, d’un des ses compatriotes, qui aura été autant « collaborateur » que nécessaire selon les vues des résistances gaulliste et communiste.  Valentin Bertrand accorde donc une forte importance au verdict de son procès, dans la mesure où ce verdict justifie le sens de son action résistante. Les circonstances précises de cette affaire sont mal connues. Dans l’ensemble des procès comparables, les chefs politiques qui ont commandité ces actions sont toujours épargnés. Mais ce sont bien les hiérarchies qui portent d’abord la responsabilité de telles actions.

A l’évocation de l’affaire Auguste Bocher, Valentin Bertrand a lu le courrier que je lui ai récemment envoyé à propos d’une invraisemblable version selon laquelle le meurtre du barde aurait été justifié par un projet d’observatoire allemand à proximité de son domicile. Il a aussi lu un projet de réponse qui ne m’est pas parvenu à ce jour, dont il ressort que cette version ne serait pas de lui, mais des associations résistantes de Callac, et daterait de quelques années. Valentin Bertrand a déclaré ignorer, ce qui est fort possible, qui sont les deux agresseurs du barde en décembre 1943, un de ces agresseurs s’étant retrouvé à l’hôpital de Guingamp après reçu un coup de penn-bazh de la part d’Auguste Bocher. Valentin Bertrand peut toujours se renseigner auprès de certains de ses camarades de l’ANACR pour obtenir l’identité des deux agresseurs, déterminer qui était le responsable politique de ces deux agresseurs et l’inspirateur de l’ordre donné par un autre responsable politique de niveau régional. Il s’apercevra alors que cette affaire Bocher ressemble beaucoup à celle de l’abbé Yann-Vari Perrot de Scrignac, avec le même motif et le même inspirateur pour l’ordre d’assassinat.

Valentin Bertrand a aussi réagi vivement à l’évocation du rôle de l’Union soviétique dans le pacte germano-soviétique et a fait état de « 17 millions de morts soviétiques …pour notre liberté » d’aujourd’hui. Le problème c’est que ces millions de morts résultent surtout du « Je t’aime, moi non plus » entre les deux grands dictateurs et criminels contre l’Humanité que sont Adolf Hitler et Joseph Staline. Du côté de Callac et de Rostrenen, tout le monde ne semble pas averti que le massacre de Katyn est l’oeuvre des soviétiques et non pas des nazis. On suggère l’excellent film d’Andrzej Wajda http://www.katyn-lefilm.fr/ qui a à peine été diffusé en France, ce qui traduit la chape de plomb qui pèse toujours sur la mémoire des événements dans ce pays.

katyn

Plus heureusement, l’ancien membre de l’Organisation spéciale (OS) et FTP du maquis Tito, Georges Ollitrault, lui aussi né en 1925, qui a encore impressionné par la richesse de son parcours, a aussi été unanimement apprécié par l’assistance, du fait de son optimisme et de son humanité. On peut avoir été au cœur d’une organisation communiste et porter un regard objectif sur son propre parcours et celui de l’organisation à laquelle on a appartenu, rester capable de dialoguer et dégager des conclusions acceptables par les uns et les autres.

L’ANACR des Côtes-d’Armor reste donc engoncée dans une mémoire hermétique qui n’a pas su intégrer la mise en évidence de faits fondamentaux relatifs à la Seconde Guerre mondiale.  En fin de conférence, Thomas Hillion a lu un texte de Jean Le Jeune, ancien chef départemental des FTP des Côtes d’Armor, se réclamant de la lutte pour la paix et les Droits de l’Homme. Initiative mal venue en la présence d’une famille de victime de la Résistance communiste, encore fortement marquée par le souvenir des événements, quand on connait le rôle joué par Jean Le Jeune dans plusieurs affaires que je décris par le détail dans Joli mois de mai 1944. Rassurez-vous, cher lecteur, nul n’est tenu d’adhérer aux thèses de l’ANACR pour œuvrer utilement pour la paix et les Droits de l’Homme dans notre vaste monde.